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La rédaction du 7 consacre une série aux Poitevins expatriés, dont le parcours professionnel et personnel sort du lot. Et, nouveauté cette saison, aux Français et étrangers ancrés dans la Vienne. Premier volet avec Mohammad Bamm, auteur iranien réfugié à la Villa Bloch depuis le début de l’année.
Racontez-nous votre enfance…
« Je suis né à Abadan, en Iran. Notre ville a été complètement détruite après la guerre entre notre pays et l’Irak (1980-1988). Et le climat y est très chaud, c’était difficile… J’étais un enfant comme les autres, je pense. Mes parents étaient enseignants et sont aujourd’hui directeurs de lycées, j’ai donc grandi dans une famille très éduquée. »
Petit, vous rêviez à quoi ?
« J’ai toujours su que je voulais devenir enseignant, comme mes parents, et ce rêve s’est réalisé. Mais nos rêves changent toujours, je crois. A cette époque, je ne pensais pas encore à la liberté, à ce genre de choses… »
Quelles études avez-vous faites ?
« En Iran, nous avons différents cursus, comme ici. J’ai enseigné l’ingénierie logicielle et la littérature perse, parce que ce sont des matières que j’ai étudiées. Mais ce sont mes parents qui, par leur profession, ont pu m’aider à travailler dans l’enseignement. »
Un tournant dans votre carrière ?
« Il y a dix ans, le Mouvement vert (*) a été un choc pour moi. J’avais 20 ans, j’étais encore étudiant. Jusqu’alors, je voulais écrire des choses simples, sur l’amour, comme les autres poètes. Mais le sujet de mon travail a changé après ça. Puis la situation en Iran a changé, sur la sécurité intérieure par exemple. Aussi, les services de renseignements sont devenus beaucoup plus vigilants. Dès lors, les sphères artistiques et culturelles ont été davantage surveillées. C’était comme 1984 de George Orwell : Big Brother is watching you ! »
Votre pays vous manque pour…
« Ma famille. Aujourd’hui (le 23 juillet dernier, ndlr), ma mère a posté une photo de ma chambre sur Instagram… Cela a été terrible pour moi. Ma famille, mes amis, ma ville… Tout me manque. J’ai presque toujours vécu à Abadan. J’aime tout ce qui a trait à ma ville, même la chaleur ! (rires) Quand vous devez quitter votre pays, votre patrie, vous y laissez une partie de votre cœur. Tous vos souvenirs, toutes les rues, le sol… C’est quelque chose de difficile à expliquer. »
Qu’appréciez-vous dans la Vienne ?
« Les gens. Ils ont tous été très gentils avec moi et ma famille, depuis notre arrivée. Aussi, Poitiers est une belle ville en termes d’architecture. Mais le plus important pour moi, ce sont les relations que j’ai avec les personnes. »
Quels sont vos projets ?
« Nous, les poètes, n’avons pas de plan, d’agenda dans notre travail. Bien sûr, j’écris. Des poèmes, des histoires courtes, des scénarios… Tout dépend de mes idées, lorsqu’elles me viennent. Je travaille aussi à la traduction de « La Nuit kurde » de Jean-Richard Bloch. C’est mon projet principal. Ici, je me sens libre d’écrire tout ce que je ne pouvais écrire en Iran. Enfin, j’ai toujours écrit ce que je voulais mais… »
(*) A l’issue de l’élection présidentielle du 12 juin 2009 et la réélection frauduleuse de Mahmoud Ahmadinejad, des millions d’Iraniens ont manifesté dans toutes les grandes villes du pays.
Mohammad Bamm a été arrêté à deux reprises dans son pays, pour « propagande contre la République islamique d’Iran » en mai 2017 et pour avoir participé aux protestations contre les politiques économiques gouvernementales, le 31 décembre 2017. Au cours de sa détention, le poète iranien a subi la torture des services secrets. Libéré sous caution en mars 2018, l’ancien professeur de littérature perse a quitté son pays dès qu’il en a eu l’occasion, afin d’assurer sa sécurité, celle de sa femme et de leurs deux enfants. Repéré grâce au réseau international des villes refuges Icorn (International cities of refuge network), l’auteur est accueilli en résidence à la Villa Bloch depuis le début de l’année.
Votre âge ?
« 29 ans. »
Un défaut ?
« J’ai souvent pensé que j’étais patient, car vous devez l’être lors d’un interrogatoire. Mais je peux parfois perdre le contrôle dans certaines situations difficiles. Avec mes enfants par exemple (rires). »
Une qualité ?
« Ce n’est pas à moi de répondre à cette question. J’essaye juste d’être une bonne personne. Ma créativité ? Je me dois d’être créatif, car je suis un artiste. »
Un livre de chevet ?
« Abattoir 5 et la Croisade des enfants, de Kurt Vonnegut. Une référence de la littérature post-moderne. Je pense que cet auteur est mon prophète (il a sa « signature » tatouée sur le poignet, ndlr). »
Une devise ?
« Je ne sais pas, je n’y ai jamais pensé… Mais ça parlerait d’honneur. En Iran, c’est la chose essentielle. »
Un voyage ?
« Dans le futur, j’aimerais voyager à travers toute la France, retourner à Paris et découvrir d’autres villes, comme Marseille. »
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