Amélia Bowyer, récit(s) d’ailleurs

Amélia Bowyer. 66 ans. A grandi entre la France et l’Angleterre. Bénévole historique du Toit du monde, à Poitiers. A passé sa vie au contact d’étrangers. Vient de publier Le Récit de la Kavkaziène.

Claire Brugier

Le7.info

Avant de tenir entre ses mains le précieux objet de papier, Amélia Bowyer n’en avait parlé qu’à de rares très-proches, et tardivement. Elle avait besoin de le voir pour y croire. En janvier dernier, Le Récit de la Kavkaziène est enfin sorti. Son premier roman (enfin le premier en français, et publié !). Lundi à 18h, elle en fera une présentation au Toit du monde, à Poitiers. Elle y sera Amélia Bowyer, fidèle bénévole des lieux. La question ne se pose même pas. Ailleurs elle pourra être Ada Loria, le pseudo qui apparaît sur la couverture du livre, mais pas à Poitiers, et encore moins au Toit du monde. « C’est là que la graine de cette histoire a germé », confie-t-elle. Evidemment, toute ressemblance avec des faits et des personnages existants ou ayant existé serait purement fortuite. Le Récit de la Kavkaziène est une fiction. Mais l’histoire de Zulikhan, Amélia l’a souvent entendue, par bribes, dans la bouche de femmes bien réelles qui ont fui leur pays avec leurs enfants. Elle résonnait en elle depuis longtemps, comme un lointain écho à sa propre histoire. « J’ai appris à Poitiers que j’étais allophone. J’ai en effet grandi dans un pays dont mes parents ne parlaient pas la langue », sourit-elle. 


Entre France et Angleterre

Née dans les Alpes-Maritimes voilà soixante-six ans, la Poitevine d’adoption a passé ses premières années du côté de Cannes, où ses parents avaient atterri, poussés hors de leur pays par la misère d’après-guerre. En Angleterre, son père était dans la marine, sa mère au foyer. En France, ils ont produit du jasmin. « Nous n’étions pas loin de Grasse et de ses parfumeurs. A l’époque, dans la région, il y avait un peu de vignes et beaucoup de jasmin. » A partir du collège, Amélia et son frère, de deux ans son cadet, ont poursuivi leurs études outre-Manche. « Nous revenions régulièrement. Enfant, on accepte tout, mais je ne sais pas comment ont fait mes parents !, s’étonne la maman de deux grands enfants, qui a donc grandi entre ces/ses deux pays. Bilingue de naissance, Amélia s’est lancée dans… des études de langues, ajoutant le russe et l’italien à son arc linguistique. « En vérité, nous faisions un peu de langue et beaucoup de littérature et de culture. » Assez toutefois pour l’intéresser à l’Union soviétique et ses petites républiques.


« J’étais fascinée par ce peuple. »

« J’avais une trentaine d’années quand je suis revenue en France, un peu comme mes parents l’avaient fait. » Son fils est né outre-Manche, sa fille ici, tous deux sont bilingues, pas allophones. « Il n’y a que les pays européens qui sont monolingues. Ailleurs, il est naturel d’avoir la tête pleine de langues. Les Arméniens, les Géorgiens, les Tchétchènes… Tous parlent au moins deux langues. » 
Durant toute sa vie professionnelle, Amélia a formé les adultes au FLE (français langue étrangère), au Centre d’étude de langues puis à l’Irfrep. 
« J’avais complètement oublié le russe. » Il s’est rappelé à son bon souvenir alors qu’elle cherchait à être bénévole. « Je l’ai entendu dans la salle d’attente du Toit du monde. » Une Russe voulait apprendre l’anglais, Amélia réveiller son russe… « A l’époque, l’association portait la plateforme pour les demandeurs d’asile. Je travaillais quatre jours par semaine et le cinquième je le passais là, je traduisais, j’accueillais les personnes qui arrivaient des pays de l’ex-Union soviétique. » En 2005, elle s’est inscrite en master 2 à Migrinter. Le sujet de son mémoire : « La migration forcée des Tchétchènes et leurs territoires d’exil ». « A Poitiers, ils étaient nombreux à demander l’asile, j’étais fascinée par ce peuple. Et puis il y avait ce roman de Tolstoï, publié après sa mort (ndlr, Hadji Mourat). Même Tolstoï n’avait pas eu le droit de le publier car il parlait positivement du peuple tchétchène, qui n’a jamais eu son indépendance. » A trois reprises, entre 2008 et 2011, Amélia est allée sur place avec une ONG qui finançait des forages d’eau potable. « J’ai énormément appris. » 


L’idée du roman

A partir de 2016 et pendant six ans, elle a travaillé à la Structure de premier accueil des demandeurs d’asile de Coallia. Mais elle avait déjà posé les premières phrases de son roman. « Dans la demande d’asile, il faut écrire son récit, qui est ensuite envoyé à l’Office français de protection des réfugiés et apatrides. Ce qui m’a toujours marquée, c’est que les demandeurs n’ont pas le droit de raconter leur voyage, comment ils ont dû donner des somnifères à leurs enfants pour qu’ils ne se réveillent pas dans le camion, comment ils ont traversé la Méditerranée… Il faut juste qu’ils expliquent pourquoi ils sont en danger dans leur pays et pourquoi ils demandent la protection de la France. L’idée du roman est venue de ça. » Depuis deux ans, Amélia est de retour dans l’équipe des bénévoles du Toit du monde. « La première fois que j’y suis allée, c’était rue des Carmélites, je n’en revenais pas, j’entendais parler cinq langues ! Je m’y suis sentie bien tout de suite, confie-t-elle. C’est aussi là que j’ai réalisé que je me sentais bien avec les personnes d’autres pays. »

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