A la Ferme Emmaüs Maisoncelle, sur les chemins de la liberté

Cinquième volet de notre série sur la Ferme Emmaüs Maisoncelle de Lusignan. Depuis quelques semaines, trois détenus ont intégré la structure. Ils racontent leurs premiers pas à l’air libre, entre activité maraîchère et projet de réinsertion.

Arnault Varanne

Le7.info

Il fait gris ce matin-là à Lusignan. De grosses gouttes tombent sur la terre ocre du lieu-dit Maisoncelle. Ce temps chagrin n’empêche pas Philippe, Rodolphe et Youssef de s’activer sous la serre et sur la parcelle pour mettre en place le système d’irrigation de l’exploitation. Des ouvriers agricoles pas tout à fait comme les autres. Ce sont les premiers résidents de la Ferme Emmaüs Maisoncelle. Sortis de prison en janvier, les trois futurs ex-détenus racontent leur parcours et leurs espoirs avec franchise, en souhaitant que ce « stop » de quelques mois à Lusignan leur donnera un nouvel élan. Un quatrième résident les rejoindra fin mars.

Youssef, 22 ans
« J’ai découvert la ferme en prison grâce à un prof qui est bénévole ici. Il nous a parlé du projet et cela m’a plu tout de suite. J’ai écrit une lettre et on m’a répondu une semaine après. J’ai ensuite rencontré Bruno (Vautherin) et Mélanie (Forestier) au parloir avocats. Je suis venu en immersion une journée. En repartant en détention, je savais que c’était ce projet que je voulais. 


L’alcool et la violence en récidive m’ont amené derrière les barreaux. J’ai écopé d’une peine de trois ans, j’en suis à onze mois. La ferme, c’est une seconde chance, un cadeau. Ce qui me plaît, c’est d’avoir la résidence, le travail et, surtout, l’accompagnement social. Même si j’ai beaucoup bourlingué, j’ai toujours aimé la campagne. Et le fait d’apprendre un métier est important. Et puis j’ai une fille de 2 ans, c’est mieux la campagne pour une enfant. C’est dans mes projets qu’elle vienne me voir.

Je suis là jusqu’au 31 décembre, j’ai refusé une RPS (Remise de peine supplémentaire). Je sais que c’est rare, mais je ne veux pas partir trop tôt. Je préfère être bien entouré avant de me retrouver seul. J’ai besoin de savoir pourquoi cette violence quand je bois. J’ai un suivi psychologique et en addictologie. Ça me fait du bien. La relation avec Rodolphe et Philippe se passe bien. J’ai toujours marché avec plus grand que moi. Ils ont plus de métier, savent me conseiller sur la vie, le travail. »


Philippe, 55 ans
« Je suis venu ici pour me réadapter à la vie dehors. J’ai été incarcéré vingt ans quand même. Il faut que je recommence tout. Ma peine se termine en octobre. Mon métier avant, c’était les espaces verts à la Ville. Je suis venu en immersion en novembre, ils ont vu que j’étais calme. La vie à la campagne, je connais. Avant, j’allais à la chasse, j’aime bien les bois, la nature. Mais ça fait drôle de retrouver la liberté après tant d’années. Le week-end, je sors en ville pour me promener, faire des courses, c’est bizarre.


Ici, on n’entend plus le bruit des clés, les autres gueuler par les fenêtres. La première fois, je ne voulais plus repartir tellement c’était calme ! C’est bien qu’ils ouvrent des structures comme ça, mais c’est une sacrée responsabilité. Je partirai sans doute en octobre, il faut laisser de la place aux autres. Pour faire quoi ? J’aime bien aider les personnes âgées, tondre la pelouse, des choses comme ça... Même le week-end, je bricole, j’ai taillé des haies. Ma mère nourricière me dit que je me suis bien débrouillé, elle est contente que je sois là. »


Rodolphe, 57 ans
« Avec les remises de peine, je devrais sortir en 2026, il en reste un peu à faire. J’ai entendu parler de la ferme par ma CPIP (conseillère pénitentiaire d’insertion et de probation, ndlr). Je suis en placement extérieur pour une année ici. Je me sens très bien. Rien qu’en poussant la porte de la prison, j’ai senti une bouffée d’oxygène. J’ai toujours été proche de la nature, je suis dans mon élément. C’est un nouveau départ, dans un coin où je ne connais personne. Je voulais repartir de zéro et éviter la sortie sèche. Quand j’ai replongé en 2005, je n’étais sorti que depuis un an.

A l’époque, j’avais dû tout faire par moi-même. J’avais contacté une association mais, à chaque fois que je me pointais à un rendez-vous, les gens n’étaient pas là. Je me suis démerdé tout seul, j’avais retrouvé un travail, un logement. Il a fallu qu’un soir des amis viennent à la maison. Ça s’est mal terminé, encore une fois.

Aujourd’hui, je suis suivi par un addictologue pour l’alcool. Je me suis reconstruit un objectif et je m’y tiens. La terre ? 
De par mon métier (dans la restauration, ndlr), j’utilise des légumes. Mon projet, c’est de monter ou de reprendre un food-truck avec des produits locaux, de travailler avec les producteurs du coin. A la ferme, on est accompagné. On doit tous tirer dans le même sens pour faire avancer le projet. »

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