J'accuse, histoires d'hommes

Avec J'accuse, Roman Polanski adapte sur grand écran le récit romancé de l'affaire Dreyfus. Une œuvre de cinéma aboutie mais ambiguë, qui sort en salle sur fond de nouveau scandale autour de son réalisateur.

Steve Henot

Le7.info

L'affaire Dreyfus. Tout le monde garde en mémoire l'histoire de cet officier français juif qui, en décembre 1894, fut injustement condamné à la déportation pour haute trahison. En revanche, on connaît moins celle de Marie-Georges Picquart qui, pendant plus de dix ans, a tout fait pour innocenter Alfred Dreyfus. Un combat qui aurait inspiré à Emile Zola son célèbre « J'Accuse... ! », article qui donne aujourd'hui son nom au dernier film de Roman Polanski.

Le cinéaste y retrace l'affaire à travers le regard exclusif de Picquart, présenté comme un antisémite assumé -« comme tout le monde » à l'époque, précise le film-, animé par un fort idéal militaire. Écrit comme un vieux thriller, austère mais non moins haletant, le scénario tisse habilement le fil de l'enquête du jeune colonel, à la recherche de preuves puis des véritables traîtres à la nation. Jusqu'au dénouement, dont l'amertume a le bon goût de l'impartialité. Picquart n'est ni plus héroïque ni moins lâche que ceux contre lesquels il s'est battu, il a seulement agi par loyauté, mu par ce qu'il estimait être son « devoir ». La précision de la reconstitution historique (costumes et décors intérieurs, en particulier) et la qualité de la distribution -casting secondaire cinq étoiles- achèvent d'impressionner. Le Grand prix du jury de la 76e Mostra de Venise n'est pas usurpé. 

Difficile toutefois d'occulter le contexte délicat de cette sortie, secouée par une nouvelle accusation d'agression sexuelle contre le réalisateur franco-polonais (déjà accusé des mêmes faits par cinq autres femmes). Difficile, aussi, de dissocier l'homme du metteur en scène, Polanski confiant lui-même s'être reconnu en Dreyfus, dans le harcèlement dont celui-ci a fait l'objet (c'est écrit dans la première version du dossier de presse du film, ndlr). La frontière est ténue, pour le moins ambiguë. Récemment, dans le cadre d'un festival, la comédienne Adèle Haenel invitait justement à « encadrer ce film d'un débat » sur le sujet. Le cinéma en a sans doute autant besoin que de grands films.

Drame de Roman Polanski avec Jean Dujardin, Louis Garrel, Emmanuelle Seigner (2h12)

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