Aujourd'hui
La réalité à l'intérieur du Palais de justice de Poitiers semble loin de l'image d'Epinal que renvoie sa façade fraîchement rénovée. Des effectifs insuffisants, des délais qui s'allongent... et des victimes collatérales : les justiciables.
« Bonjour, vous êtes bien en relation avec le Palais de justice de Poitiers. Veuillez patienter, nous allons donner suite à votre appel. » Passées quelques minutes, les notes de jazz qui accompagnent le message d’attente deviennent lassantes. Et inutile d’essayer de joindre un agent sur son portable, le rez-de-chaussée du bâtiment est en zone blanche. « Que ce soit pour un délibéré, une date d’audience ou tout autre renseignement, il faut parfois une matinée pour avoir quelqu’un !, s’indigne Me Sylvie Martin. Et le problème est le même pour le justiciable qui voudrait prévenir d’un retard à l’audience par exemple. Il ne peut pas, et ce n’est pas parce qu’il se moque de la Justice. » L’avocate n’incrimine pas les fonctionnaires préposés à l’accueil téléphonique. « Avec cinq cents appels par jour, voire des pics à huit cents... On voit partout que les gens sont en souffrance. »
Des effectifs insuffisants
Presque huit mois après l’emménagement de toutes les juridictions dans le flambant neuf Palais de justice, des dysfonctionnements fissurent déjà l’imposante façade. « C’est un paradoxe. Il a été conçu comme un lieu d’humanité et de transparence. Mais, dans la réalité, le fonctionnement est totalement défaillant. Pour des impératifs sécuritaires, tout est fait pour qu’il n’y ait pas d’échanges entre les juges, les avocats et les justiciables », déplore Me Hervé Ouvrard. Le bâtonnier regrette la spontanéité des échanges que la mise en place de badges sélectifs a éclipsée. « Cette gestion des flux crispe les relations et donc les audiences. A cela s’ajoute un déficit de magistrats en première instance. »
Le président du tribunal de Grande Instance Franck Wastl-Deligne le confirme. « La situation est catastrophique. En janvier, nous aurons six postes vacants sur vingt-six. Mes collègues sont dans un état d’épuisement physique et moral important. Les délais s’allongent, les retards s’accumulent, cela nous amène à supprimer certaines audiences... »
Au détriment des justiciables
Les justiciables sont les premiers à pâtir de ces délais. « Avant, pour une audience pénale, le report était de trois ou quatre mois, témoigne Me Sylvie Martin. Dernièrement, l’un de mes dossiers a été reporté à novembre 2020. Lorsque j’en ai informé mon client, il a cru que je m’étais trompée d’année. » L’avocate fourmille d’exemples. « J’ai un autre dossier pour une garde d’enfant qui a déjà été prorogé dix-neuf fois depuis février. » Parallèlement, « il y a plus de 3 000 décisions d’aide juridictionnelle(*) en stock, dénonce Me Ouvrard, soit trois fois plus qu’il y a un an. » Aux postes vacants, s’ajoutent des arrêts maladie parmi les magistrats mais aussi au sein du greffe mutualisé, qui accuse plus de 10% d’absences. « Il y aura huit postes vacants au premier semestre 2020 », note Sophie Grimaud, secrétaire générale-adjointe du Syndicat des greffiers. La charge de travail ne cesse d’augmenter et les remplacements des départs ne sont pas anticipés. Sans compter les absences pour maladie, grossesse... »
Dans ce contexte tendu, Dominique Moyal invite « à faire mieux avec la ressource actuelle ». Globalement, « dans ce tribunal, on vit mieux qu’avant », assure la Procureure générale qui reconnaît « une situation conjoncturelle difficile » pour laquelle « les chefs de juridictions et la directrice du greffe ont deux solutions : revoir l’organisation des services ou demander ponctuellement du soutien aux chefs de Cour. Nous affectons ensuite des magistrats ou greffiers placés selon les besoins et les priorités. » Et dire que se profile au 1er janvier 2020 la réforme de la Justice...
(*)Indemnité versée à l’avocat par l’Etat quand le justiciable est dans l’incapacité de régler les honoraires.
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