Les Misérables, immersion choc

Une intervention de la brigade anti-criminalité dérape et met le feu aux poudres d’un quartier, en Seine-Saint-Denis. Couronné du Prix du jury au dernier festival de Cannes, le premier long-métrage de Ladj Ly est une très grande réussite. L’un des meilleurs films de l’année.

Steve Henot

Le7.info

Arrivé de Cherbourg, Stéphane intègre la « BAC » de Montfermeil, dans le « 9-3 ». Avec ses nouveaux coéquipiers, il est appelé à intervenir sur une affaire de vol d’un lionceau (!), qui échauffe les esprits entre la communauté gitane et les habitants du quartier. Les policiers retrouvent vite la trace du voleur, un ado qu’ils tentent d’interpeller. Dans la confusion, le jeune délinquant est touché par un tir de flash-ball, inconscient. Une bavure policière, celle de trop…

A défaut d’en être une adaptation directe, Les Misérables de Ladj Ly réactualise l’œuvre éponyme de Victor Hugo avec brio. Le film partage surtout un même désenchantement sur l’état de la société. Ici, sur cette fameuse France « Black-blanc-beur » post-Coupe du monde 98 et l’illusion d’une mixité réussie. Le jeune cinéaste filme son quartier qui l’a vu grandir, ce qu’il y a vécu, entre délinquance, incivilités et contrôles d’identité arbitraires. Sans complaisance ni parti pris. Jeunes ou flics, tout le monde y finit rongé par la violence au quotidien, bien malgré lui. « Mes amis, retenez ceci, il n’y a ni mauvaises herbes ni mauvais hommes. Il n’y a que de mauvais cultivateurs », écrivait déjà Hugo.

Au-delà de son regard pertinent sur la banlieue, ce premier long-métrage témoigne aussi d’une vraie maîtrise cinématographique. La mécanique du thriller, qui voit le rapport de force sans cesse bousculé entre les différentes communautés à l’écran, prend aux tripes comme rarement. Jusqu’aux vingt dernières minutes, d’un déchaînement soudain que le spectateur vit en apnée. Et où l’on aimerait voir, dans ce petit judas de porte, une lueur d’espoir salvatrice. Magistral.

Drame de Ladj Ly, avec Damien Bonnard, Alexis Manenti, Djebril Didier Zonga (1h42).

 

Le mot de… Almamy Kanouté, acteur
« Le réalisateur Ladj Ly était une connaissance. Il m’a appelé à l’été 2018, m’a parlé de son projet. C’est un sujet sur lequel je suis engagé en tant qu’éducateur. Je suis aussi connu comme un activiste des quartiers populaires. Comme beaucoup, j’ai été frappé de plein fouet par les révoltes de 2005, à Clichy-sous-Bois. On est venu prêter main forte pour essayer d’apporter un peu d’apaisement dans les esprits tendus de l’époque. Les émeutes ont permis de mettre le doigt sur une situation critique. Mais quatorze ans après, rien n’a changé. Aujourd’hui, on se demande quand cela va péter à nouveau. On a étouffé la situation à coup de subventions, par la mise en place d’infrastructures… Mais ce n’est pas avec des pansements que l’on stoppe une hémorragie. La situation est connue, a été débattue maintes et maintes fois. A notre niveau, seuls, on ne pourra pas changer les choses. Il faut pour cela une vraie cohésion avec ceux qui ont le pouvoir. L’art, le cinéma particulièrement, est un très bon moyen pour faire passer des messages et amener à la réflexion. Les Misérables a au moins un impact sur l’aspect représentatif. Ladj Ly est issu des quartiers populaires, parti de nulle part. Aujourd’hui, il arrive à bousculer le cinéma français, sans presque aucune subvention. C’est synonyme d’espoir pour une bonne partie de notre jeunesse et pour les populations des quartiers car généralement on nous impose des réalisateurs qui ne connaissent pas ces réalités-là. On a besoin de modèles, de références en dehors du sport et de la musique. »

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