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Marthe Hoffnung-Cohn, 99 ans. Née à Metz, évacuée en août 1939 vers Poitiers où vit encore une partie de sa famille. Résistante de la première heure, ce petit bout de femme de 1,50m s’est engagée dans l’armée française et s’est infiltrée parmi les Nazis dont elle parlait la langue.
Les spectateurs réunis le 8 novembre au Dietrich, à Poitiers, ne l’ont pas vue. Après la projection du documentaire de Nicola Hens Chichinette, ma vie d’espionne, Marthe Hoffnung-Cohn devait prendre la parole, réagir, répondre aux questions. Mais rien. Un peu plus tôt dans l’après-midi, elle avait dévalé une dizaine de marches d’escalier. Le genre de chute qui ne laisse pas indemne. Surtout à 99 ans. Malgré tout, elle a tenu à recevoir les journalistes de la presse locale dans l’appartement de son neveu, Daniel Hofnung, élu de la majorité municipale à la Ville. Un moyen de témoigner encore et toujours.
Le poids des années pèse physiquement sur ce petit bout de femme de 1,50m. « Enfin moins maintenant, j’ai rétréci comme tous les vieillards », plaisante cette dame apprêtée dont les yeux pétillent toujours. Sa vitalité et sa détermination demeurent. Au cours des vingt dernières années, Marthe Hoffnung-Cohn a donné près de deux mille conférences dans le monde entier pour raconter -gratuitement- son histoire. Héroïque. En août 1939, cette native de Metz, en Moselle, est évacuée vers Poitiers, comme des milliers d’anonymes, juste avant l’invasion nazie. Indignée par l’injustice et la barbarie de l’occupant, la petite-fille de rabbin se lance avec sa sœur Stéphanie dans la Résistance. « Nous avons aidé des centaines de personnes à passer la ligne de démarcation à Dienné, par l’intermédiaire d’un fermier, Noël Degout, dont les terres étaient à cheval sur les zones libre et occupée, se souvient-elle. Il a été reconnu par la suite Juste parmi les Nations. »
« Je n’ai jamais torturé personne ! »
Sa sœur est arrêtée et déportée en 1942 par la Sipo, la police de sécurité allemande, à cause d’une lettre interceptée. Cet événement sonne le départ de la famille en août. Marthe doit interrompre ses études d’infirmière à l’école de la Croix-Rouge. « Nous étions huit. Je poussais ma grand-mère qui était assise sur mon vélo car elle venait de subir une intervention chirurgicale à la hanche. » Direction Saint-Secondin, sans étoile juive mais avec des faux papiers fournis par un certain « M. Charpentier, agent de la mairie de Poitiers ». « Là-bas, nous avons croisé des fermiers pauvres. J’avais peur qu’ils nous dénoncent pour obtenir une récompense. Au contraire, ils se sont mis à prier. » Finalement, Marthe obtient son diplôme à Marseille. Et d’autres aventures l’attendent.
Après la Libération de Paris, Marthe intègre l’armée française. Son rêve. Elle est enrôlée comme infirmière dans le 151e Régiment d’infanterie. Les officiers ne donnent pas cher de sa peau. Ils lui attribuent le surnom de Chichinette qu’elle « déteste ». Mais sa combativité est exemplaire. En outre, elle parle et lit parfaitement l’allemand. Qui pourrait se méfier d’elle ? Le célèbre colonel Fabien lui enseigne les rudiments du métier d’espionne. La résistante infiltre le camp adverse par la Suisse après treize tentatives. Il lui arrive évidemment d’avoir peur. Par chance, et grâce à son « esprit d’observation », elle rencontre les bonnes per- sonnes et parvient à recueillir des confidences de la plus haute importance. « Mais je n’ai jamais torturé personne », lance-t-elle en riant. Parmi ses faits d’armes, elle est la première à informer les Alliés que les forces allemandes se sont retirées de la ligne Siegfried près de Colmar. Un tuyau qui, à coup sûr, a accéléré la déroute des Nazis.
Un demi-siècle de silence
Marthe se souvient de chaque détail, les dates, les noms et les itinéraires empruntés soixante-quinze ans plus tôt. En cas de trou de mémoire, son mari, Major L. Cohn (94 ans), un scientifique américain rencontré en 1953, lui souffle gentiment les réponses. Dans un coffret, cet ex-agent des renseignements conserve toutes ses décorations : Croix de guerre, Médaille militaire, Légion d’honneur... Elle répète inlassablement les différents épisodes de sa vie qui ont donné lieu à un livre Derrière les lignes ennemies, une espionne juive dans l’Allemagne nazie, au début des années 2000. Et pourtant, pendant près d’un demi-siècle, personne ou presque n’a rien su de son passé de résistante. Même pas sa famille. « Elle dit que personne ne l’aurait crue, et puis on voulait passer à autre chose après la guerre, témoigne Daniel Hofnung. J’avais vaguement entendu parler de cette histoire quand j’étais enfant. Finalement, mon père a poussé Marthe à écrire un livre à la fin des années 90. » Pour le médecin généraliste poitevin, sa tante restera toujours une femme au « courage exceptionnel » pourvue d’un « grand sens de la famille et du service aux autres ». Au printemps prochain, Marthe Hoffnung-Cohn célèbrera ses 100 ans. Ses deux grands fils lui prépareraient une surprise, selon Libération, qui lui a consacré un portrait fin octobre. Elle a reçu plusieurs invitations dont celle du consulat de France à Los Angeles, où le couple réside. Pour information, le documentaire sera projeté à nouveau en décembre au Dietrich. De son côté, Marthe aura déjà quitté la France vers d’autres aventures.
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lundi 23 décembre