Hier
Miloud Kerzazi. 49 ans. Français, Algérien, Châtelleraudais. Enfant d’Ozon devenu animateur dans la maison de son quartier. Photographe engagé, il s’est fixé pour objectif la défense de la souffrance. De la Sous-France.
« Photographie contre le racisme. » Sous le titre, sur la double-page du manuel scolaire (Hachette, 2018), la photo s’étale. S’impose. Miloud Kerzazi se fend d’un sourire malgré la gravité du propos. « C’est ma petite revanche sur mon parcours scolaire ! » Largement inspirée de La Liberté guidant le peuple de Delacroix, l’image met en scène une poignée d’enfants, le regard tendu vers l’objectif. Postés sur un talus, sur fond de barres d’immeubles et de ciel tourmenté, ils brandissent un drapeau bleu-blanc-rouge. Et un appareil photo, clin d’œil du photographe à lui-même.
Si Miloud Kerzazi, Châtelleraudais de 49 ans, avait eu l’opportunité de poursuivre ses études, peut-être aurait-il écrit un pamphlet semblable au « J’accuse » d’Emile Zola, qu’il a découvert bien plus tard. A défaut de plume d’oie, il s’est d’abord emparé d’un appareil photo, l’arme de sa « révolte photographique », selon le titre de l’un de ses albums, dédicacé par l’Iranien Reza.
« Déjà adolescent, j’aimais tout ce qui était artistique. » Dans un atelier proposé par le centre social de son quartier, il découvre « la magie de la chambre noire ». Jusque-là, tout va bien, ou presque. Le racisme l’a épargné, du moins le croit-il. « C’était surtout le fait d’anciens de la guerre d’Algérie. A l’école, je n’avais pas du tout ce ressenti. A l’époque, à Ozon, il y avait aussi des profs, des docteurs... On a grandi dans cette mixité, il n’y a jamais eu de problème de religion ou de racisme. » Mais, à l’heure d’aller étudier à Bordeaux, la réalité le rattrape. « Ma mère, très marquée par le fait divers du Train d’enfer(*), a pris peur. » L’enfant d’Ozon, né de parents algériens, a donc été orienté –« désorienté »- vers une filière professionnelle électrotechnique. Il a décroché.
« J’aurais pu basculer »
« On essaie alors de rentrer dans la vie active et on reste sur le carreau. » La suite ? « Le business parallèle, le repli sur soi, on traîne dans le quartier, on se fait refuser l’entrée des boîtes de nuit le samedi soir..., énumère-t-il pêle-mêle, le regard sombre. J’aurais pu basculer. Mais je m’accrochais à de petits contrats. » Serveur au « bar sans alcool », animateur des ateliers graff de la maison de quartier l’été... Il se souvient aussi des sorties organisées par des associations militantes. « On nous emmenait en bus. Les grands le disaient aux plus petits et on partait à l’aventure ! »Le papa de cinq enfants, âgés de 8 à 23 ans, rend aussi hommage à ses valeurs familiales et à sa femme, Carine, car sa force tient aussi « un peu à l’amour », glisse-t-il pudiquement.
En 1998, il décroche un premier contrat comme animateur au centre socioculturel d’Ozon. En attendant le CDI, cinq ans plus tard (auquel il a mis fin cette année), il travaille déjà au contact des jeunes « pour leur apporter des projets, les emmener voir ailleurs, les inciter à se mettre sur les listes électorales... ». Et puis arrivent « les années Sarko » et « tout se bouscule, plein de choses remontent à la surface ». Miloud Kerzazi renoue avec la photographie, plonge dans l’histoire de l’Algérie, de la colonisation, découvre le sort des tziganes internés à Montreuil-Bellay... Il crée son premier blog « Sous-France », une tribune pour « la France d’en bas, la souffrance des quartiers populaires ».
« Je prenais l’appareil avec moi. »
« Je prenais l’appareil avec moi. Comme exutoire certains ont le rap, d’autres le sport, moi la photo, analyse-t-il. On peut ressentir de l’amertume, de la colère, légitime, mais il ne faut pas sombrer dans la haine. Il faut maintenir la cohésion nationale. »
En 2010, pourtant, Miloud Kerzazi demande la double-nationalité. Il est désormais Français et Algérien car il se sent comme « le fils adoptif d’une Marianne qui n’a pas été égale avec tous ses enfants ». 1981 et l’élection de François Mitterrand, 1998 et la finale de la Coupe du monde de football, SOS Racisme... Autant d’espoirs déçus.
Malgré tout, « je crois à la France multiculturelle ». Ses photos en témoignent. Parmi elles se glissent quelques portraits d’anciens, de « chibanis » -le mot est prononcé avec respect. Mais la grande majorité donne une visibilité « aux nouvelles immigrations, sub-saharienne, des pays de l’Est... » et met en scène des ados. Le regard souvent grave, ils semblent poser la question qui taraude Miloud Kerzazi : « Quand serons-nous considérés comme Français ? »
Portées par Internet, ses photos voyagent, s’affichent dans le métro parisien (concours « Une image pour la fraternité »), sont publiée dans des magazines comme Negus, All Eyez on me, les Cahiers du DSU... Alors Miloud Kerzazi a bien « essayé d’entamer (sa) résilience » en captant des couchers de soleil et des monuments historiques, et en fondant avec son neveu et son cousin l’association Solidarité Sous-France. « Mais j’ai replongé. Mon travail est de sensibiliser, d’alerter les consciences. » Et pas besoin de couleurs pour cela. « J’aime le côté vintage, c’est comme ça que j’ai commencé la photographie. Et puis, quand je me suis intéressé à l’Algérie française, j’ai trouvé énormément de cartes postes en noir et blanc. »
(*) Le 14 novembre 1983, dans l’express Bordeaux-Vintimille, un jeune Algérien de 26 ans, Habib Grimzi, en visite en France, est roué de coups et défenestré par trois voyageurs.
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lundi 23 décembre