Hier
Philippe Boisseau, 71 ans. Parisien de coeur installé à Poitiers. Ouvrier par choix, marxiste-léniniste par conviction, historien par passion. Auteur du blog parisrevolutionnaire.com
Sur l’une des étagères de sa bibliothèque, des petits livrets rouges. Des Petit Livre rouge de Mao pour être exact. Le premier exemplaire, en chinois, a son histoire. Philippe Boisseau la raconte, les yeux brillants et le sourire au bout des lèvres. Il est allé le quémander à la légation chinoise à Paris. C’était en 1964, les cartons venaient juste d’arriver, les textes étaient tout frais sortis de l’imprimerie.
A 71 ans, le Parisien des Lilas, puis de Bobigny, n’a rien renié de ses idéaux. Il y a quatre ans, il a quitté avec soulagement un petit pavillon de région parisienne pour s’installer dans un appartement, au neuvième étage d’une barre d’immeubles, dans le quartier des Trois-Cités, à Poitiers. « Suite à un putch de (sa) femme ». Lui se serait bien vu « à Saint-Nazaire,une vieille ville ouvrière »...
« Je suis marxiste-léniniste », lance-t-il, sans bravade. Philippe Boisseau a conscience de faire partie des « derniers Mohicans ».Paisiblement installé dans un fauteuil de son salon, il s’explique, se défend de tout dogmatisme. « Le marxisme, c’est juste vouloir en finir avec la propriété privée des moyens de production et continuer à réfléchir à un autre avenir pour l’humanité. »
Son militantisme a grandi avec lui, doucement mûri par les vents contraires de son enfance. « Je viens d’un milieu petit-bourgeois réac. Certains plus que d’autres... Catho aussi. J’ai été enfant de choeur, c’est la première chose avec laquelle j’ai rompu. Mais jusqu’à mai 68, je n’étais pas vraiment politisé, je luttais juste contre l’idéologie familiale, les simagrées petites-bourgoises. »
Mai 68, son grand regret. « C’est une grande frustration. J’avais 20 ans en 1968, confie-t-il, ouvrant les bras en signe de dépit. « J’avais 20 ans et je l’ai raté ! A l’époque je faisais mon service militaire et, comme j’avais été réfractaire, j’ai été envoyé dans un camp disciplinaire puis en Guadeloupe. Je suis parti le 13 mai 68 par le dernier avion ; j’ai atterri le 14 mai, le jour anniversaire des émeutes de 1967. Je me suis retrouvé là, en tenue, avec mon arme... J’ai déserté. »
D’aucun parti
Philippe Boisseau gamberge, depuis toujours, sans jamais manquer de « lier la théorie à la pratique ». Au début des années 70, il intègre les Claj (Clubs de loisirs et d’action de la jeunesse), qu’il qualifie lui-même de « pro-chinois »mais qui signent son engagement politique. « C’était l’une des trois seules organisations reconnues par le gouvernement chinois », précise-t-il avec malice.
A posteriori, celui qui n’a « jamais appartenu à aucun parti » situe « ledéclic de (sa) vie » à 16 ans, au hasard d’un petit boulot de vacances, « dans un atelier de réparation de Mobylettes et Motobécanes ». Alors empreint des clichés ouvriers, il découvre « un milieu où régnait une vraie fraternité ». Mais avant de devenir « un établi », un ouvrier à plein temps « par choix politique, pendant seize ans, dans une usine Bosch de Saint-Ouen puis chez Renault », Philippe Boisseau a cherché. Longtemps. « J’essayais tout, j’ai fait plus de trente métiers : professeur d’auto-école, instituteur, libraire... » A défaut de savoir ce qu’il voulait,le jeune homme savait déjà ce qu’il ne voulait pas.
« J’ai loupé deux fois mon bac, que j’ai finalement passé en candidat libre pendant mon service militaire. J’ai obtenu la mention très bien, j’ai intégré Sciences Po, je voulais faire de la politique. »Le jour de son exposé sur la révolution culturelle chinoise -un sujet choisi-, l’enseignant n’était pas là et personne n’a voulu ouvrir la salle. L’étudiant a définitivement « claqué la porte ». Trop convenu pour le jeune communiste en construction, avide de comprendre, déjà passionné d’histoire avant même de politique. Pour la première il a parcouru Paris, de long en large, dans le chaos des révolutions, dans les pas des révolutionnaires.
« Je circule dans le Paris du XVIIe siècle comme si j’y étais»
Son blog parisrevolutionnaire.com* recense le fruit de ses recherches, patientes et minutieuses. « Après avoir fait le tour d'un pâté de maison je pouvais attendre une heure devant une porte cochère que quelqu’un entre ou sorte, si je savais que quelque chose s’était passé derrière. Je suis un pinailleur. J’ai par exemple retrouvé l’emplacement de l’immeuble, rasé depuis, où Gracchus Babeuf a été arrêté. »Les recherches de Philippe Boisseau fourmillent d’anecdotes. L’homme est intarissable, sa mémoire peuplée de révolutionnaires, de noms et de numéros de rues, de plans cadastraux qui se superposent... « C’est le plaisir du collectionneur, du détective privé... » Empruntant à Léon-Paul Fargue, il se décrit comme « un piéton de Paris », même à des centaines de kilomètres de la Ville Lumière. Il reste membre des Amis de la Commune de Paris. "Je n’ai plus besoin d’y être physiquement, explique-t-il sans une once de prétention.Je circule dans le Paris du XVIIe siècle comme si j’y étais. »
Philippe Boisseau n’est jamais à court d’engagements. Elvira et lui font aujourd’hui partie du Comité poitevin Palestine. Sa femme, le « grand amour de (sa) vie », confie-t-il avec pudeur. Ces deux-là se sont bien trouvés, militants de toujours -au Portugal, elle a souffert dans sa chair le régime de Caetano-, réunis par l’usine et par leurs « empaillades » politiques. « Elle a toujours été plus anar et moi davantage dans l’organisation. »
*Le site ayant récemment été piraté, il est momentanément en travaux.À lire aussi ...
lundi 23 décembre