Sa quête d'amour

Wilfrid Ameuille. 58 ans. Gérant d'une société de stations de lavage autour de Valdivienne. Joue son propre rôle dans un court-métrage récemment primé à Clermont-Ferrand et à Marseille. Prône une bienveillance et une bonté inconditionnelles.

Steve Henot

Le7.info

Ce ne devaient être que de simples vacances, tranquilles comme toutes les autres, dans le château de son vieil ami installé en Belgique. Le hasard a voulu qu'un tournage s'y déroule, ce même été 2016, et qu'on l'invite à y tenir un petit rôle d'appoint. Trois fois rien, deux lignes de texte à tout casser. Il n'en fallait pas plus à Wilfrid Ameuille pour littéralement crever l'écran.

Sa tirade spontanée sur la nature et son équilibre a scotché toute l'équipe. Le réalisateur de Rien sauf l'été, Claude Schmitz, a découvert « un personnage étonnant », au naturel désarmant et à la verve sans pareil pour un profane. Une évidence rare. « Moi, je me suis trouvé ridicule », se rappelle Wilfrid, qui jouait la comédie pour la première fois de sa vie. Les deux hommes ont évoqué brièvement l’idée de faire un film ensemble, chez Wilfrid, dans « sa » campagne de Morthemer, près de Valdivienne. « C'est parti comme une blague mais c'est vite devenu très sérieux », raconte Claude au détour d’une interview.

Ce film, c'est Braquer Poitiers, lauréat du prix Egalité et diversité au 41e Festival international du court-métrage de Clermont-Ferrand et Coup de cœur du public au dernier Festival international de cinéma (FID) de Marseille. Tourné en grande partie l'été dernier, ce « court » de 60 minutes va bientôt devenir un long métrage et s'offrir une sortie en salles, au printemps. « Au début, ma motivation était de valoriser le territoire et de montrer la profonde qualité des gens de la campagne, qui sont aujourd'hui laissés de côté », explique Wilfrid, producteur du film.

« Je voudrais une plénitude permanente »

« Pas acteur pour un sou », il y tient pourtant son propre rôle, central, à la demande de Claude. Lui, Wilfrid, ce gérant un brin désabusé d'une société de stations de lavage dans le Sud-Vienne. Ici, seul le contexte relève de la fiction. Confronté à deux malfrats pas bien dégourdis venus le braquer, le natif de Poitiers les laisse se servir. Habitant seul dans ce « domaine » familial, il goûte cette drôle de compagnie avec philosophie, insufflant à Braquer Poitiers sa personnalité entière et son regard singulier sur les relations humaines. « C'est se révolter, accepter d'être nous-mêmes et de partager nos talents pour mieux vivre ensemble. »

De son propre aveu, Wilfrid Ameuille n’est pas un cinéphile averti. Il se désintéresse des productions contemporaines, qu’il trouve trop creuses et auxquelles il préfère les comédies italiennes des années 1960 et les westerns américains. « Aujourd’hui, il faut porter quelque chose », dit-il, voyant dans le septième art un formidable terrain d’expression. Avec ses mots à lui, le Poitevin souhaiterait « que le mur se lézarde », comme il le clame dans le film. « Je voudrais qu’il y ait une sympathie, une bienveillance, une plénitude permanente. »

« La seule chose qui compte, c’est la douceur que l’on se donne. »

Cette utopie sociale de bonté absolue l’anime depuis son plus jeune âge, forgeant un garçon « joyeux, à l’aise, le meilleur en expression orale » jusqu’à ses 8 ans. « Puis j'ai suivi le moule et ce côté naturel est tombé sous le poids des études, pour lesquelles je n'étais pas fait », se désole l’homme aujourd’hui âgé de 58 ans. Après un diplôme d'ingénieur agronome forestier à Louvain, en Belgique, Wilfrid n'a qu'une envie : revenir chez lui, cet « aimant » comme il dit. « J’aime beaucoup mon milieu, mon village, mon Poitou… Ici, on trouve toutes sortes de gens. Je pense que notre région est un point de rencontres, de convergence. »



« Je le fais pour qui ? Pour quoi ? »

Il se lance dans le business des stations de lavage en 2002, sur les conseils de l'un de ses frères, déjà dans le milieu. Sans conviction, par défaut. « Une activité contemporaine qui n'a pas beaucoup d'objets, déplore le cadet d’une fratrie de six enfants. Là, je monte un nouveau centre, je suis obligé de continuer. » La comptabilité le répugne. « Je ne supporte pas de compter les sous, j'en ai marre. Je le fais pour qui ? Pour quoi ? »

Cette quête de sens le ramène à son rapport aux autres, sa « seule passion ». Dans sa vie, il n’a pas toujours été payé en retour. Pudique, Wilfrid expédie « les échecs et les mauvaises choses, au nom de l’intérêt unique et de la propriété » qui l’ont profondément blessé, écorché. « Elles peuvent abîmer les personnes, j’en ai pris la pleine mesure. » En exprimant à l’écran ce besoin d’amour, de relations apaisées entre les êtres, « je me suis rendu compte que j’avais raison », glisse-t-il. Braquer Poitiers a été un rappel salvateur : l'essentiel est dans la rencontre et l'échange. Les dix jours de tournage à son domicile restent, à ce titre, un souvenir impérissable. « La maison vivait de tous les côtés, c'était un habitat groupé comme on avait autrefois, des gens qui mettent leurs ressources en commun pour créer. »

Les louanges glanées ces dernières semaines, pendant la promotion du court-métrage, lui font chaud au cœur. « C'est incroyable cette histoire... Quelque chose s'est passé. » Et tout particulièrement à Morthemer, où Wilfrid a réuni proches et amis pour une projection privée autour du four à pain mitoyen, qui n’avait plus fonctionné depuis 1947. Ce gaillard cultivé avait préparé un chaleureux discours de remerciement. L’un des rares moments où son visage impassible vacille sous le poids de l'émotion encore fraîche, palpable. Sa plume a fait mouche. Parce qu'authentique, sincère et sans retenue. « S'ouvrir aux autres, c'est la règle. Personne n'est là pour dominer. La seule chose qui compte, c'est la douceur que l'on se donne. L'amour des personnes permet de vaincre tous les obstacles. »

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