mardi 24 décembre
Yvan Châtel. 83 ans. Habite Valdivienne. Vient de commettre un (long) recueil de poésie intitulé Promenade dans l’humain. Ancien commerçant en région parisienne, le retraité vit dans et avec le souvenir de sa chère et tendre disparue. Signe particulier : se sent jeune.
Elle est là. Dans la cuisine, le salon, la chambre… Même sur le portable de son mari, transformé en cadre photo numérique. Son sourire profond et rieur ne laisse pas l’hôte des lieux indifférent. Et pour cause, elle n’est plus là. Il y a six ans, Viviane a « rejoint l’au-delà » sans crier gare, terrassée par un cancer généralisé foudroyant. Yvan Châtel s’en souvient comme si c’était hier. « Au début, les médecins m’ont dit que ce n’était rien, juste un petit truc au foie. Et puis, le lendemain, c’était encore autre chose. Au bout de huit jours, elle avait disparu… Son décès m’a tué. »
Après soixante ans de compagnonnage, les deux âmes forcément sensibles empruntent désormais des chemins différents. A elle l’immortalité, à lui l’écriture échevelée et cathartique. « Depuis que je suis seul, je regarde la vie autour de moi. J’écris sur tout, je vais jusqu’au bout sans réfléchir. » Les éditions Baudelaire ont consenti à publier son premier ouvrage de poèmes. Un livre de deux cent quatre-vingt-quatre pages intitulé Promenade dans l’humain. Un livre qui « aide à vivre »selon son auteur, par-delà les épreuves s’entend. Tel un ado juvénile, Yvan Châtel s’adresse à Viviane avec des mots empreints d’une tendresse infinie. Extraits : « Je te rêvais, t’imaginais, tu serais le soleil le jour où tu apparaîtrais, ce jour nouveau serait merveille… »
« De vilaines gens »
Le fils de garde mobile et mère au foyer a rencontré sa future épouse au sortir de la Seconde Guerre mondiale, dans une usine de fabrication de tricots. Lui le futur mécanicien n’a eu d’yeux que pour elle « au milieu d’une cinquantaine d’ouvrières ». « On a tout de suite su, ce fut une évidence ! » Une évidence presque paradoxale pour celui qui estime n’avoir « pas été aimé dans son enfance ». « Je n’en ai jamais souffert parce que je pensais que c’était normal. Je ne me suis jamais rebellé. » Cet épisode de sa vie aussi, l’octogénaire « plus jeune qu’un jeune d’aujourd’hui »-c’est lui qui le dit- le documente dans son recueil de poésie. Il évoque « de vilaines gens (me) fabriquant de la souffrance sans réfléchir »…
Il aurait pu traîner son vague à l’âme comme un boulet au pied. Au lieu de cela, le titulaire d’un CAP de mécanicien automobile a cru en sa bonne étoile, quittant Caen pour rejoindre son père remarié à Rueil. C’est en région parisienne qu’il s’est accompli sur le plan professionnel. D’abord en vendant des Frigidaire sur le marché et en porte-à-porte, puis en montant son propre magasin d’électroménager et quincaillerie. Le slogan ? « Du vrai, du solide, du sympa. » A dire vrai, Yvan Châtel n’a jamais cherché à s’enrichir. « Le fric, je m’en fiche un peu ! » A telle enseigne que le gérant s’était fait une spécialité d’envoyer paître les maris soucieux d’offrir un fer à repasser à leur femme le jour de la Saint-Valentin. « Je leur disais : « Vous n’avez pas honte de vous ? » et je les emmenais de l’autre côté de la rue, chez le bijoutier. Parfois, ils revenaient plus tard acheter de l’électroménager… » Rendre service, voilà ce qui l’a toujours motivé dans sa vie antérieure.
« Hier n’est plus, vivez l’instant présent »
Aujourd’hui encore, il rend service en mettant son sens de l’écoute à disposition des autres. « Faire du bien à mes contemporains me fait du bien », admet-il dans un énième élan spontané. Du haut de son mètre quatre-vingt-cinq, le sage n’a qu’un conseil à donner : « vivre l’instant présent ! » Le message a depuis longtemps fait écho chez ses trois enfants, sept petits-enfants et trois arrière-petits-enfants. A tous les autres, il passe ses messages par les mots. Ou plutôt les vers. Nouvel extrait : « Si vous voulez être très heureux, n’écoutez pas les vilaines gens, au cœur, ne vous faites pas de bleus. Hier n’est plus, vivez l’instant présent. » Dans sa grande demeure de Valdivienne, là aussi achetée sur un coup de cœur, en harmonie avec Viviane, le poète se fait philosophe. Il « aime les gens » et se reconnaît « beaucoup plus tolérant depuis qu’elle est partie ». Elle est pourtant là, bien là, dans chacun de ses soupirs et au détour de toutes ses phrases.
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