mardi 24 décembre
Suzana Sabino. 50 ans. Compagne, depuis 2006, du sportif quadri amputé Philippe Croizon. Se confie très intimement dans un livre paru au début du mois. Elle y raconte sa Vie pour deux », sans concession ni retenue.
La lumière ne l’avait jamais vraiment attirée. Longtemps, Suzana Sabino s’est efforcée de rester dans l’ombre de son conjoint, « le héros » très médiatique Philippe Croizon. Sur les plateaux, le sportif quadri-amputé n’a jamais manqué une occasion de lui rendre hommage et cela lui suffisait. Elle, la « force tranquille », s’y était habituée. Aujourd’hui, à une époque où la parole des femmes se libère un peu plus chaque jour, la donne a changé.
En mai dernier, Suzana ressent le besoin de se livrer. « C’est arrivé à une époque où nous étions un peu fatigués avec Philippe, confie-t-elle. J’ai eu l’envie d’écrire un livre sur notre vie. » Une vie à deux singulière. Hors norme même. Sa Vie pour deux avant tout, qui donne son titre à l’ouvrage paru au début du mois aux éditions Arthaud.
En 2006, sur Internet, elle tombe sous le charme de Philippe Croizon, avec lequel elle partage « l’humour et la même philosophie de vie ». Lui a perdu ses quatre membres il y a déjà douze ans, touché par une ligne électrique de 20 000 volts. Amoureuse, elle n’hésite pas à emménager chez l’ancien ouvrier métallurgiste, à Ingrandes-sur-Vienne, avec ses trois filles. Et apprend, pas à pas, à vivre au côté d’une personne handicapée, à être son aidante. « Je n’étais pas plus effrayée que ça au début. »
Corps et âme
Philippe, lui, mûrit le projet de traverser la Manche à la nage, malgré son handicap. En 2008, il entame un entraînement intensif -six heures de natation par jour- en vue de relever ce défi. Avec le soutien volontaire de Suzana qui, en parallèle, fait des heures de ménage pour subvenir aux besoins de cette grande famille recomposée (cinq enfants à eux deux). « Quand il m’en a fait part, je me suis dit que cela allait lui permettre de sortir de chez lui, de s’ouvrir. Mais cela a été la période la plus dure, on ne connaissait rien de l’exigence du milieu sportif. Le soir, je m’évanouissais de fatigue. Il y a eu des moments où je craquais, où je m’isolais dans la forêt pour aller crier tout ce que j’avais sur le cœur, mais je ne lui en parlais pas. J’encaissais tout, même sa mauvaise humeur. » Pour le préserver et ne pas entraver sa réussite. « Je ne pensais pas que ça allait engloutir toute ma vie. »
Le 18 septembre 2010, le Châtelleraudais réussit son pari. Un nouveau départ pour lui, devenu symbole du dépassement de soi. « S’il réussissait, il savait que ça changerait le cours de sa vie. Pour moi, rien n’a changé. Mais j’étais heureuse de voir qu’il avait enfin trouvé sa voie. » Suzana est à bout, elle s’effondre, admise aux urgences à trois reprises. Puis revient très vite à son quotidien d’aidante, à temps plein désormais, dans cette maison qu’elle ne s’est jamais vraiment appropriée. « Ces murs sont mon univers depuis plus de douze ans. Ce n’est pas non plus une prison, mais j’y ai toujours passé plus de temps pour les autres que pour moi. »
Se retrouver et s’affirmer
Devenue par ailleurs secrétaire officielle de Philippe Croizon, elle continue d’accompagner son compagnon dans tous ses projets : les cinq continents à la nage, le record de plongée, la participation au Dakar… Le couple vit au rythme effréné du sportif. Entre parenthèses, aussi. « On ne savait plus trop où se situer. Entre compagne et aidante, la limite était pour moi devenue trop fine. Il y a des moments où je ne savais plus qui j’étais. »
Dans ces instants difficiles, Suzana a parfois trouvé du réconfort auprès des animaux recueillis au sein de la famille. Chats, chiens, furets… « Ils sont mes moments de relaxation, confie celle qui est née au Portugal, il y a cinquante ans. J’ai toujours vécu avec des animaux. Mon père récupérait tous ceux qu’il trouvait dehors. »
« Un peu de reconnaissance, ça fait du bien… »
Il lui arrive aussi de se réfugier dans la caravane installée au fond du jardin, pour s’adonner à son autre passion qu’est la peinture. Trop rarement. En 2014, elle décide à son tour de se lancer un défi : rallier Compostelle à la marche. « Cela a été un moyen de me recentrer sur moi. Même si Philippe a été un peu tristounet que je le fasse sans lui ! »
Sur les chemins, elle a mis un peu d’ordre dans cette « vie pour deux » et retrouvé sa place dans le couple. Sans regret « On sait qu’on s’aime, que l’on se complète. Entre nous, il a parfois manqué de paroles, de discussions. Mais on a fait de belles choses aussi. » Au-delà des mérites, Suzana songe à toutes les rencontres, dans le milieu du handicap, qui ont en partie motivé ce désir de se raconter dans un livre. « En France, nous sommes 11 millions d’aidants, dont 69% qui ne le savent pas encore. Ce sont des héros invisibles, qui aimeraient exister. C’est pour cela qu’il est important d’en parler. Si je peux apporter la lumière sur ce sujet… »
A travers ces quelques pages, c’est aussi la femme qui s’affirme. Sans concession ni retenue aucune. « J’y dis absolument tout, sans tabou, sur les sacrifices, sur la complexité matérielle et même la sexualité. Et j’égratigne aussi le personnage public… » Une prise de conscience chargée en émotion pour Philippe Croizon. A la lecture, « on a pleuré tous deux, dit-il, le regard empli d’admiration pour sa compagne. Maintenant, je ne la contrôle plus ! » Suzana a changé. « C’est vrai qu’aujourd’hui, je dis plus souvent non. » Se confier a été libérateur, source de satisfactions nouvelles et bienvenues. « L’autre jour, deux mamies nous ont reconnus dans la rue. Lui et moi. L’effet du livre se ressent. C’est vrai qu’un peu de reconnaissance, ça fait du bien… »
Ma vie pour deux, écrit en collaboration avec Emmanuelle Dal'Secco et paru aux éditions Arthaud (288 pages). Disponible en librairies.
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