Bien plus qu’un changement de sexe

Le CHU de Poitiers envisage de devenir l’un des centres de référence pour la chirurgie de la transsexualité. Une équipe pluridisciplinaire a été constituée autour du Pr Franck Leclère, sachant que l’opération ne constitue qu’un aspect du processus de réassignation.

Arnault Varanne

Le7.info

« Je n’aurais pas pu me considérer comme une femme à part entière en gardant mes attributs masculins. » Dans la bouche de Cynthia, l’évidence affleure. Il y a six ans, Jean(1) a choisi de mettre en conformité l’image renvoyée par son miroir et sa vie intérieure, trop longtemps plombée par une grande souffrance (lire Le 7 n*310). Après une dépression sévère, la retraitée châtelleraudaise s’est lancée dans un processus de réassignation sexuelle, comme environ cent cinquante personnes par an, en majorité dans trois hôpitaux de l’Hexagone. Elle a été opérée à Bordeaux.

« Un changement de vie »

Si elle représente le nœud gordien de la transition, l’opération de trois heures n’est qu’un élément de la transsexualité. En amont, la démarche nécessite un suivi psychiatrique de deux ans. « Un temps de maturation de ce changement de vie », dixit Cynthia, qui le considère toutefois comme « difficile à supporter quand on souffre ». « C’est un processus irréversible et il convient donc que tout soit parfaitement carré et évalué en amont », explique le Pr Franck Leclère. Le chef du service de chirurgie plastique au CHU de Poitiers a pris ses fonctions en novembre 2017. Formé au CHU de Bordeaux, il est l’un des rares en France à pratiquer la vaginoplastie. Mais le professionnel de santé est loin de tirer la couverture à lui, soucieux de mettre en avant les psychiatres, dont le Pr Nemat Jaafari, urologues, chirurgiens maxillo-facial, endocrinologues et autres phoniatres… Bref, tous ceux qui œuvrent au sein de la Réunion de concertation pluridisciplinaire (RCP) -« un garde-fou »- mise en place au sein de l’établissement. Et donnent de fait, « en équipe », leur feu vert(2) au « changement de vie » souhaité par les patient(e)s.

Le CHU de Poitiers en recours

A partir d’avril, le Pr Leclère effectuera les premières opérations à Poitiers, légitimant les ambitions du CHU de devenir « le premier centre en Nouvelle-Aquitaine à proposer une réponse adaptée à la demande de réassignation sexuelle ». Il faudra du temps pour que ce vœu se réalise, comme il faut du temps aux proches pour « accepter notre choix », dixit Sarah Guichard. Opérée en 2017, à Bordeaux, cette infirmière de 55 ans a divorcé, même si elle sent chez son ex-compagne « beaucoup de compréhension ». Comme chez ses enfants et ses collègues de travail, du reste. Malgré tout, Sarah va bientôt déménager. Elle a « besoin d’un endroit neuf » pour « se fondre dans le décor » tout en continuant d’« en parler ». « La première fois que je me suis regardée dans la glace après l’opération, c’était magique. Aujourd’hui, je sais que les années à venir seront belles… » Sarah, Cynthia et les autres savent que le regard de la société, s’il évolue, reste crispé sur ces questions de transidentité. Le temps fera sans doute son œuvre. Des associations telles que Contact 86, le centre LGBTI du Poitou et En tous genres y contribuent.

(1)Prénom d’emprunt.
(2)L’équipe effectue au préalable une demande d’affection de longue durée auprès de la Caisse primaire d’assurance maladie. La chirurgie de la réassignation sexuelle est remboursée à 100%.

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