Aujourd'hui
Marcus Agbekodo, 53 ans. Français par conviction. L’ancien directeur du Siveer-Eaux de Vienne vient de publier un plaidoyer en faveur de la diversité multiculturelle en se fondant sur sa riche expérience de vie.
Ne lui demandez pas d’où il vient... Cette question, qu’on lui pose depuis toujours, rapport à sa couleur de peau, l’agace. Né au Togo, Marcus Agbekodo est Français. « Je me suis construit ici, j’ai appris la culture française dès l’âge de 4 ans et que nul ne me prive de cette langue que j’aime tant, avec ses mots si rares et méticuleux. » L’ancien directeur général du Siveer-Eaux de Vienne (de 2007 à 2015) s’est fait une place dans la société à grand renfort d’obstination et de travail. Une façon de montrer qu’il avait des compétences à apporter à cette France qui lui a tant donné.
Ce docteur en chimie, ancien élève ingénieur de l’Ensi Poitiers et diplômé en management de l’Essec Paris, n’a plus rien à prouver côté formation. Parti de rien, il s’est toujours attaché à rester « digne », à « foncer » et « aller toujours plus haut ». Cette « valeur innée et inaliénable » est au cœur de sa philosophie de vie. Celle sur laquelle cet homme de 53 ans s’est toujours appuyé pour revendiquer son droit à faire des études, décrocher des postes à responsabilités et posséder de quoi vivre confortablement grâce à son travail. L’intérieur de sa grande et belle maison de Montamisé, décorée avec goût, parle pour lui.
Montrer l’exemple
La France qu’il chérit lui a permis de s’épanouir. Mais ce qui est vrai pour lui ne l’est pas forcément pour tout le monde. Et cet « intello » qui ne s’est « jamais senti étranger en France » se mobilise quand la société ne remplit plus sa mission. La première déflagration a lieu en 2005. Les émeutes urbaines révèlent le mal-être identitaire des jeunes de banlieue. La province est également concernée. Marcus Agbekodo est à l’époque au Conseil général de Charente. Ce membre influent de la communauté africaine appelle immédiatement au calme. Pour lui, sensible à la justice sociale et à la promotion culturelle, cet événement constitue un tournant. Dans le quartier de Ma Campagne à Angoulême, il joue le rôle de « grand frère ». Le cadre dirigeant dialogue avec des jeunes en détresse sociale et aide même financièrement certaines familles. Il les invite au côté de ses trois enfants dans l’ambiance chaleureuse de sa demeure pour leur prouver qu’on peut « réussir à partir de rien sans voler, ni se bagarrer ». Et puis ce chrétien pratiquant puise dans sa foi les bases stables d’une éducation qui leur manque, pour les aider à s’intégrer. « C’est vrai que je crois en Dieu, mais on peut l’appeler autrement. Il s’agit surtout pour moi d’une énergie créatrice de sens qui réunit les gens. S’aimer les uns les autres, c’est la base. »
Plaidoyer pour la diversité
Certains jeunes sont originaires d’Afrique, d’autres d’Europe de l’Est. Tous se retrouvent confrontés à un sentiment de déclassement et d’abandon de la part de la France. Mais Marcus Agbekodo voit plus loin : « Saint-Exupéry disait que ce qui embellit le désert, c’est qu’il cache un puits quelque part. Moi j’ajoute que chaque jeune cache un talent. » Il s’occupe de ces âmes désœuvrées telle « la rose » du même Saint-Ex, tant et si bien qu’elles finissent par éclore. Vingt ans plus tard, ces gamins de la rue sont devenus avocat à Poitiers, banquier à Angoulême, ingénieur informatique à Paris... Marcus en est si fier qu’il décide de se faire « leur ambassadeur ». Il publie leurs histoires dans un essai, Nos désirs de France, sorti en début d’année. L’ancien président national de la diaspora africaine au sein de la pastorale des migrants s’inspire de ses multiples expériences pour théoriser un « plaidoyer pour oser la France des diversités multiculturelles ».
Les mains « bigarrées » sur la couverture appartiennent à sa famille métissée. Tout un symbole. Marcus Agbekodo voulait représenter le choix du « vivre ensemble librement consenti ». Dans son chapitre préféré, intitulé Immigré mais infiniment digne, ce philosophe invoque Jaurès, Hugo, Mandela et fait le rêve d’une « France promotrice de la dignité et des libertés ». Une incantation qui trouve un écho particulier dans l’actualité à l’heure des réfugiés et des Gilets jaunes. A travers ce livre, l’actuel directeur général délégué de Noréade, une régie publique qui fournit de l’eau à 735 communes du Nord, incarne ce combat. De quoi abreuver la réflexion.
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