Axel Kahn : « Que les politiques nous fassent rêver »

Le généticien et essayiste Axel Kahn vient de publier un livre baptisé Chemins, dans lequel il établit un parallèle entre marcheurs et chercheurs. Il le dédicace ce vendredi, à Poitiers, avant de débattre avec Alain Claeys autour des questions de bioéthique (*). Ses paroles sonnent comme un avertissement.

Arnault Varanne

Le7.info

Quel regard portez-vous sur l’évolution de l’Espace Mendès, qui fête ses 30 ans ?
« L’Espace Mendès-France, je le connais bien. J’y ai été invité plusieurs fois pour parler notamment de bioéthique. L’équipe en place fait un superbe travail. En ces temps de très grande inquiétude, la médiation est essentielle. »

Comment expliquer cette peur de l’avenir qui paralyse les sociétés occidentales ?
« Elle a toujours existé, c’est presque une réalité anthropologique de tous les êtres vivants. On a peur de ce qu’on ne connaît pas. L’avenir créé une attente et forcément une inquiétude. Certes, la science a tenu toutes ses promesses, mais elle a aussi montré ses limites. Le XXe siècle a été le théâtre de deux guerres mondiales très meurtrières, synonymes de pollution, de réchauffement climatique… L’homme d’aujourd’hui n’a donc pas la même foi de charbonnier que son ancêtre du début du XXe. »

L’intelligence artificielle ne risque-t-elle pas d’accentuer le fossé ?
« L’IA est sans doute la plus grande révolution à venir, comparable à l’invention de l’écriture. A partir du moment où l’homme n’a plus l’apanage de l’intelligence, se posent des questions forcément existentielles. »

« Les déclassés se retrouvent sur les ronds-points »

Dans Chemins, votre dernier ouvrage, vous dressez un parallèle entre le marcheur et le chercheur. Quelles sont les lignes de convergence ?  

« Le chercheur, comme le randonneur en montagne, cherche à explorer les chemins de crête. Lorsque les deux arrivent à l’objectif fixé, tout s’illumine dans un mélange de joie et de plaisir. Enfin, dans les deux cas, le chercheur et le randonneur empruntent parfois des voies ou des sentiers non prévus parce que plus intéressants ou novateurs. Pour moi, la marche, c’est la vie. Je ne pourrais pas m’en passer. »

Comment interprétez-vous le mouvement des Gilets jaunes ? A la fin de Chemins, vous faites allusion à tous ceux qui font sécession…
« En 1 500km de marche, je suis tombé de désastre industriel en désastre industriel. C’est ce que j’appelle la Diagonale du vide. Des territoires où le chômage est à plus de 22%, où la seule économie est celle des aides sociales. Ces populations ne mouftaient pas, elles votaient FN. On les a oubliées et laissées crever. Ces gens-là, les déclassés, se retrouvent aujourd’hui sur les ronds-points. »

L’humanité court à la catastrophe écologique et, pourtant, la prise de conscience semble presque inexistante ?
« Entre nous, la prise de conscience écologique n’existe pas ou peu dans beaucoup de territoires. La fin du monde n’a jamais été un sujet, la baisse de la vitesse à 80km/h et les hausses de taxes, oui. Beaucoup parlent de l’écologie comme de préoccupations de bobos. De la même manière, l’Europe est vue à travers ses contraintes, ses règlements... Les gens ont fait sécession par rapport à des discours raisonnables et argumentés. Ils rendent responsables ceux qui les tiennent de leurs malheurs. »

Peut-on être optimiste pour l’avenir ?
« La seule possibilité de ne pas sombrer, c’est d’être raisonnables et humains (injonction faite par son père Jean, qui s’est suicidé en 1970, ndlr). Il faut que les politiques arrêtent de faire des discours dans lesquels nous ne devons que nous acquitter de nos obligations. Que les politiques nous fassent rêver et parlent d’un avenir désirable. »

(*) Au-delà de la dédicace de son ouvrage
Chemins, Axel Kahn échangera vendredi, à 17h30, avec Alain Claeys sur les questions de bioéthique. Rendez-vous à la Fnac de Poitiers. 

DR Claude Truong-Ngoc 

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