Des commerces en état d’urgence

A Châtellerault comme à Poitiers, la mobilisation durable des Gilets jaunes fait des dommages collatéraux. Depuis le début du mouvement, les commerces accusent de fortes baisses d’activité. Certains s’en remettent déjà aux soldes de janvier. Pour d’autres, c’est beaucoup plus compliqué.

Steve Henot

Le7.info

Les commerçants sont unanimes. Le mois de décembre a été « catastrophique » sur la zone d’activité de Poitiers Sud. Les clients ont déserté l’épicentre du mouvement des Gilets jaunes dans la Vienne. « Pourtant l’accès en voiture n’a jamais été complètement bloqué, note Charles Ranc, mais les gens ne se sentaient pas en sécurité ». Cet artisan créateur de bougies parfumées n’est pas certain de pouvoir rentabiliser le stand qu’il a loué jusqu’au 5 janvier dans la galerie marchande d’Auchan.

Les responsables des chocolats Jeff de Bruges et Ambiance&Style notamment étaient déjà très inquiets au lendemain de la deuxième mobilisation des Gilets jaunes. Alors imaginez maintenant… Sans présager de l’avenir, une chose est sûre, « une centaine de contrats saisonniers » n’ont pas été signés cet hiver sur la zone, selon Gwenaëlle Hollmann-Nico, directrice d’Auchan. « Beaucoup d’enseignes indépendantes comme la mienne réalisent 50 à 60% de leur chiffre d’affaires à Noël », souligne Sabine Jolly-Zimolong, de Joué Club, qui a réduit le nombre de CDD de six à quatre pour les fêtes. Pour d’autres, la situation semble critique. « Si je ne travaille pas jusqu’à la fin d’année, dans deux mois, je dépose le bilan », lâche un commerçant, les yeux rougis, à l’occasion de la rencontre avec les Gilets jaunes, vendredi dernier.

A première vue, le centre-ville devrait tirer son épingle du jeu dans cette guerre fratricide qu’il mène contre Poitiers-Sud. Or, à vrai dire, pas du tout ! « Tout le monde a perdu entre 20 et 50% de son chiffre d’affaires, assure Benoît Delsuc, président de Poitiers Le Centre. Du côté de Châtellerault, la mobilisation au carrefour de la Main jaune a également plombé les affaires des commerçants locaux. « La partie manufacturière est la plus touchée, avec des baisses d’activité entre 30 et 35%, note Stéphane Mercier, président de la Fédération des acteurs économiques. L’alimentaire tire quand même son épingle du jeu. Les gens se sont réappropriés le centre-ville pour faire leurs courses. La vision est contrastée. »

Le e-commerce n’en profite pas

Devant ce constat, la préfecture de la Vienne a décidé, avec les chambres consulaires et les organisations professionnelles, de mettre en place une cellule d’appui aux entreprises en difficulté ponctuelle. A l’heure où sont écrites ces lignes, vingt-cinq commerces -petits, moyens et grandes surfaces- de Poitiers et de Châtellerault y ont fait appel. S’il n’y a pas encore de menaces de cessation de paiement, certaines situations nécessitent des « réponses très rapides », rappelle Jocelyn Snoeck, le sous-préfet, en charge de la coordination de cette cellule.

L’autre phénomène, peut-être le plus surprenant, réside dans le fait que le commerce en ligne ne semble pas non plus profiter de la désertion des magasins. Malgré tout ce qu’on peut entendre… C’est une « illusion », selon la Fédération du e-commerce et de la vente à distance (Fevad). « Par rapport à la croissance attendue en novembre-décembre (1,3 milliard d’euros de ventes, ndlr), on est déjà en recul, constate Nathalie Laîné, responsable de la communication. Il y aura peut-être un sursaut d’ici Noël mais les gens n’ont pas forcément la tête à consommer. L’état d’esprit nous rappelle celui des attentats de 2015. »

Comme tous les commerçants de la Vienne, Benoît Delsuc souhaite « une grosse émulation pour les dix derniers jours, que les gens puissent se déplacer ». Il compte sur « l’euphorie » du grand rush précédant Noël. De son côté, le maire de Châtellerault, Jean-Pierre Abelin a déjà demandé à la préfète de la Vienne une dérogation exceptionnelle pour que les commerces puissent ouvrir les dimanches de janvier, au moment des soldes. Une idée qui ne suffira pas forcément aux commerçants indépendants qui n’ont pas les moyens d’ouvrir davantage. Mais qui pourrait assurer la survie d’autres enseignes.

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