Elle force le destin

Donia Abbassi. 29 ans. Recevra le 17 décembre, à Paris, le Prix de la Fondation Marcel-Bleustein pour la vocation. Maman de deux ans, cette battante issue d’un milieu modeste rêve d’embrasser la carrière d’avocate. Coûte que coûte.

Arnault Varanne

Le7.info

Il faut parfois ressasser le passé pour préparer l’avenir. Se mettre à nu au sens figuré du terme. Exorciser ses souvenirs douloureux et repartir de l’avant. Dans un CV et une lettre de motivation nourris de « sa vie difficile », Donia Abbassi a séduit le jury de la Fondation Marcel-Bleustein. Elle fait partie des vingt lauréat(e)s français(e)s à se voir remettre le Prix de la vocation pour sa persévérance : 8 000€ d’argent sonnant et trébuchant, dont elle connaît déjà la destination : « financer une prépa d’école d’avocat, acheter des Codes civils, participer à des colloques prestigieux… »

Le 17 décembre, la jeune Poitevine de 29 ans sera sur la scène du Théâtre Montparnasse, à Paris, pour recevoir officiellement son « dû » des mains d’Elisabeth Badinter. Elle appréhende le rendez-vous autant qu’elle l’attend. On n’est pas tous les jours sur le devant de la scène ! « La Fondation nous apporte un soutien financier, mais aussi social et humain. Je me dois de réussir pour moi, mais aussi pour tous ces gens qui me font confiance. » Attablée à La Gazette, le repère des avocats du barreau de Poitiers, Donia s’exprime à livre ouvert. Notamment sur ce « rêve qui grandit de jour en jour, porter la robe d’avocat ». « Je pensais que ça m’était inaccessible et puis, au fil du temps, je me suis dit : pourquoi pas moi ? »

« Rentrer un peu dans la vie des gens »

Aussi loin qu’elle se souvienne, l’enfant de Soyaux, fille de père ouvrier et de mère au foyer, a toujours éprouvé le « besoin de défendre la cause des personnes en difficulté ». « Je cherche des solutions, jusqu’à passer des nuits blanches. J’ai ça ancré en moi ! » Son stage de 3e au sein du cabinet Grandon a agi comme un révélateur. « C’était fascinant de pouvoir consulter des dossiers, de rentrer un peu dans la vie des gens. » Pour l’anecdote, le doyen des avocats poitevins lui a fourni une attestation pour son dossier de candidature au Prix de la vocation.

Mille fois, Donia aurait pu lâcher l’affaire. Au moment de la naissance de sa fille, en 2014. A l’heure de mettre au monde son deuxième enfant, début septembre, le lendemain de la fin des épreuves d’entrée au Centre régional de formation professionnelle d'avocats (CRPA) de Poitiers, hélas ratées. Et même, quelques années plus tôt, lorsque la titulaire d’une Maîtrise en droit du patrimoine n’était encore qu’une lycéenne aux ambitions mesurées. Grandir au milieu de sept frères et sœurs n’est pas chose aisée. Plus jeune, Donia a enchaîné les petits jobs alimentaires : commis de salle, hôtesse de caisse, vendeuse en porte-à-porte, chargée de clientèle dans un centre de relation clients, prof d’économie-gestion en lycée professionnel… « J’ai toujours considéré qu’on se fatigue plus en voyant la liste des obstacles qu’on doit affronter qu’en faisant les choses. Ma mère me donne la force de me battre en permanence. »

Donia Abbassi jette un voile pudique sur les difficultés financières et familiales qu’elle a pu rencontrer -le décès de son papa, son rôle de soutien familial…- sans jamais se départir d’un sourire franc et d’un ton enjoué. Elle n’a pas l’éloquence d’une fille de notable ni l’élocution d’un fils d’avocat au destin presque tracé, mais la presque trentenaire dégage une vraie sincérité et une volonté farouche de décrocher son Graal. A partir de janvier, elle remettra l’ouvrage sur le métier. Direction l’Institut d’études judiciaires. Au printemps, suivra un stage dans le cabinet d’un expert judiciaire près la cour d’appel de Poitiers. Ensuite, elle « sacrifiera » son été pour « réviser à fond » en vue du concours d’entrée au CRPA, début septembre. Celui-là même qui lui a échappé à la rentrée dernière. « En même temps, j’ai reçu le Prix de la vocation et j’ai agrandi ma famille. Le bilan est positif ! » L’avenir nous dira si la fille d’immigrés tunisiens enfilera à terme la robe d’avocat, spécialité droit de la construction. Si, d’une certaine manière, elle forcera le destin. A défaut, elle force déjà le respect.

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