Turpain sur l'écume des ondes

Albert Turpain aurait 144 ans. Professeur à l'université de Poitiers, inventeur de la Télégraphie sans fil (TSF) et de la télévision, il est mort seul dans l'ignorance la plus totale. L'auteur passionné Jacques Marzac lui redonne une « place juste entre le silence et la gloire ».

Romain Mudrak

Le7.info

Le dernier portrait connu d'Albert Turpain montre un homme éteint, refermé sur lui-même. Il surprend le photographe mais ne sourit pas. Ce personnage, si combatif dans le passé, ne croit plus en la venue d'une reconnaissance pourtant bien méritée. Dans l'élan de cet instantané, on l'imagine baisser ses grands yeux vitreux, remettre son chapeau, faire demi-tour et, au coin de la rue, disparaître à jamais.

1950, deux avant son décès, la cour de cassation vient de briser un arrêt très important pour le scientifique poitevin. En effet, en février 1943, le cour d'appel de Poitiers lui avait octroyé le droit de ne pas citer Edouard Branly dans un livre sur « L'histoire de la Télégraphie sans fil (TSF) », démontrant ainsi le rôle plus que marginal tenu par le physicien dans cette révolution technologique. Par là même, la paternité de la TSF lui était rendue. Oui mais voilà, saisie par le fils de Branly, la cour suprême replonge Turpain dans l'ombre et la pauvreté.

Les prémisses de la télévision


Quand l'un des quais du 7e arrondissement de Paris est baptisé du nom du célèbre savant, Albert Turpain ne possède qu'une épitaphe sur sa pierre tombale, dans le cimetière d'Iteuil, mentionnant : « précurseur de la TSF ». Son nom ne figure dans aucun manuel scolaire. Au grand dam de Jacques Marzac qui vient d'écrire sa biographie. « J'aimerais redonner à Albert Turpain une place plus juste entre le silence et la gloire », indique ce Chauvinois passionné d'histoire régionale.

Oui, Albert Turpain a bien réalisé une première expérience de télégraphie sans fil à travers quatre murs dans la cave de la faculté des sciences de Bordeaux dès novembre 1894. Schéma et témoignages à l'appui, Jacques Marzac démontre que le Poitevin s'est intéressé au sujet bien avant tout le monde. Il était bien placé pour cela d'ailleurs. Fils de marin disparu en mer, Turpain a été très vite obligé de travailler aux Postes et Télégraphes pour financer ses études : « C'est là qu'il a conçu le résonateur à coupure, autrement dit le récepteur qui capte les ondes hertziennes émises depuis un point distant. » À partir de cet instant, tout est devenu possible, de la radio à la télécommande, en passant par la télévision. Saviez-vous que l'une des premières émissions d'images a eu lieu à Poitiers, le 16 janvier 1935 ? « Elus, préfet, universitaires s'étaient réunis dans l'appartement de Turpain, 7 rue Renaudot. Le savant, lui, transmettait des images de Guy de Belleville, un célèbre musicien de l'époque, depuis son laboratoire situé rue de l'université », raconte le biographe. On retrouve le compte-rendu de l'opération dans la presse de l'époque.

Au service de l’homme du peuple


Il y a quinze ans, l'ancien enseignant a sauvé de la destruction les archives d'Albert Turpain situées dans le grenier du château de La Troussaye, à Iteuil (propriété de Gérard de Monjou, gendre du savant). Dans cet amas de documents en piteux état, il a découvert l'étendue de ses travaux : 350 publications dans des revues de référence, des centaines de conférences en France et à l'étranger, une dizaine de brevets d'invention. L'un de ses dispositifs était capable de prévoir les orages. Grâce aux canons à grêles, très utilisés avant la Première Guerre mondiale pour chasser les nuages, des récoltes ont été préservées. Le test pilote a d'ailleurs été réalisé au-dessus des vignes de Saint-Emilion, évitant ainsi la ruine à des dizaines de producteurs. « Albert Turpain était un homme de science au service de l’homme du peuple », souligne Jacques Marzac. Pourfendeur des inégalités, il a prouvé scientifiquement que le tarif de l’électricité était trop élevé. Ce qui ne lui a pas apporté les sympathies des notables et autres industriels peu scrupuleux qui se gardaient une marge au passage. Sa rigueur en matière de gestion, couplée à sa générosité, l’ont poussé à créer le premier réseau de « Coop » alimentaire. L’ancêtre du commerce équitable.

Durant toute sa vie, Turpain gagne à peine de quoi nourrir ses quatre enfants et verser une pension alimentaire à sa mère. Sa nomination au poste de professeur à l'université de Poitiers, obtenue en 1901, n’y changera rien. « Il voulait humblement faire avancer la science en restant intransigeant avec les vérités historiques », conclut l’historien. La France lui manifestera-t-elle un jour sa reconnaissance ? A Poitiers, Albert Turpain possède déjà sa rue, sur le campus universitaire.

« Albert Turpain, un homme de science au service de l'homme du peuple », par Jacques Marzac, aux éditions Le Pictavien

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