Didier Rageau, 48 ans. Educateur auprès de personnes handicapées. Coureur (à pied) de l’extrême. Raid dingue de montagne. Membre de l’Ultr’amical 86, une bande de doux-dingues jamais rassasiés d’efforts. Portrait d’un stakhanoviste du sport.
Il se « sent vivre » là où d’autres hurleraient leur douleur. Il exècre le dopage et toute forme d’addiction, alors même que lui affiche une dépendance sévère à la course au pied. Au panthéon des forçats de l’effort humain, Didier Rageau bénéficiera forcément d’une place de choix. C’est sûr. Le gamin de l’ASPTT qui déchirait ses convocations au cross-country, au grand dam de son père, s’est depuis mué en stakhanoviste de son sport. Du genre excessif. Il l’avoue sans fard. « Les gens doivent se dire : « il est fou ce mec-là ! » Mais non, voyons, juste passionné. « Faut pas se voiler la face, je suis accro… », lâche-t-il dans un bel élan de sincérité.
Rien qu’en 2010, l’éducateur du foyer de la Varenne (Saint-Benoît)-il encadre des personnes handicapées atteintes de surdicécité- a avalé l’équivalent de 7 790 bornes à pied. Sans compter 315 heures de VTT. Et ça dure comme ça depuis presque un quart de siècle. Depuis, en fait, que cet ancien basketteur, handballeur et footeux a attrapé le virus. Il raconte : « Je me suis inscrit au semi de Vouneuil-sous-Biard en me disant : « Si je termine, je continue la course ». » Bingo, en dépit d’une douleur au dix-septième kilomètre dans la terrible côte de la fenêtre, Didier a terminé. Le début d’une vie d’ascèse, entièrement dévouée à la course. Sur route et dans les sous-bois d’abord. Mouais… Son chrono sur la distance mythique (2h55 à Paris) ne l’a pas incité à persévérer sur le macadam.
« Des ailes en montagne »
Ce célibataire assumé adore en fait la nature, les grands espaces. « La montagne me donne des ailes, la mer des boutons. » Alors, Didier galope de préférence dans des contrées vallonnées. Les Templiers, la 6000D, les 3 000 Ariégois… A longueur d’années, il écume les trails et courses nature mythiques de l’Hexagone. Sans aucune forme de lassitude au compteur. Et en autosuffisance de préférence pour corser la difficulté. Seuls les initiés comprendront. « Des anecdotes, je pourrais en citer des centaines. Je me souviens notamment de la Diagonale des Fous, en 1999. A mon arrivée sur la stade de la Redoute, j’ai chialé comme une madeleine tellement c’était beau. »
Dans le genre « moins glamour », un autre souvenir plus douloureux lui revient en mémoire. 2009, challenge des 3000 ariégeois. Le sociétaire du CA Pictave et de l’Ultr’Amical 86 fait une chute vertigineuse dans la descente. Malgré une entaille du tibia, jusqu’à l’os, il passera la ligne d’arrivée. Exténué mais très amoché. Et le plaisir là-dedans ? « J’étais sous endorphine, j’ai cru que c’était la fin. Je voulais aller au bout… » La réponse est un peu courte monsieur Rageau. D’autant qu’au détour d’une phrase, l’ultra-coureur avoue qu’il serait préférable « d’arrêter la course à pied plutôt que mettre sa santé en danger ».
« Un peu bizarre et hors-norme »
A croire que le conseil s’arrête aux portes de son domicile ! Certes, pendant quelques mois, il a mis la compétition entre parenthèses… avant de passer la surmultipliée depuis la rentrée 2010. Incorrigible. Pourtant, le titulaire de trois brevets d’Etat sait que sa carrière est derrière lui. Que ses envies de montagne ne peuvent que s’assouvir en pointillés. Sa trajectoire de « sportif addict » aurait sans doute épousé d’autres contours si son année à Gap (en 1998) avait débouché sur un job intéressant. En même temps, Didier Rageau est un Poitevin de cœur et d’un jet de bagnole, la ville aux cents clochers côtoie avec les sommets. Tiens, justement, les 2, 3, 4 juin, Didier s’embarque dans une équipée nommée « Les trois jours de la Chartreuse ». Encore un raid hors norme. Comme ce personnage « un peu bizarre » (c’est lui qui le dit), mais profondément humain. Qui trouve son exutoire dans la course à pied. Allez comprendre…