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Lui le terrien n’a jamais « pris la mer ». Alors quand un ami chef d’entreprise lui propose de convoyer un catamaran de La Rochelle à Canet-en-Roussillon, en avril 2019, il se laisse embarquer. A ses côtés, Georges et Denis, des skippers expérimentés. Et au milieu, la houle des grands jours ! Philippe Bouteiller s’en souvient comme si c’était hier de cette traversée mouvementée du golfe de Gascogne. Le gamin de Martainville, charmant village de Seine-Maritime, dépeint au quotidien ses impressions, sous la forme d’un carnet de bord numérique. « Et d’une dizaine de lecteurs, je suis rapidement passé à une centaine... » A quoi tient une « carrière » d’écrivain ? A quelques lignes d’un horizon empli de curiosité, assurément. A un besoin irrépressible de « raconter la vie de [sa] mère », sûrement. Odette est « née sur le haut de la falaise de Varengeville-sur-Mer », s’est éteinte à 94 ans en laissant quelques pages sur son enfance dans un carnet. Son fils, quatrième sur les sept de la fratrie, a tiré le fil de cette « partie de la famille dont on ne nous avait jamais parlé ». Les Blondel, sorti en 2021, a valu au Poitevin un joli succès d’estime dans sa région natale. Beaucoup de gens se sont reconnus dans ce récit de la (rude) campagne normande au cœur du XXe siècle. Loin de l’image d’Epinal qui colle au village des peintres naguère fréquenté par Monet ou Picasso. « Une histoire extraordinaire mais aussi difficile. Ma mère n’a pas eu d’enfance. »
De ses ancêtres, le fils d’agriculteur a hérité le goût du travail bien fait, ainsi que d’une certaine idée de l’exemplarité. Ainsi, après L’Esquinté, vient-il de sortir son troisième ouvrage, Le Froc et la Brique. Une nouvelle plongée dans l’histoire d’un curé bâtisseur des Deux-Sèvres au milieu des années 60. Le virus de l’écriture ne le quitte plus, le happe presque. « Avant d’écrire, j’aime surtout mener un travail d’enquête, réunir des éléments, c’est passionnant. » Parce que « les hasards heureux » se provoquent, l’écrivain a eu « la chance » de rencontrer Christian Broutin dans un gîte rural de Varengeville-sur-Mer, en marge d’une dédicace. « Un colosse d’1,90m et 120kg » avec lequel il a sympathisé, avant de découvrir son antre à La Roche-Guyon. Le peintre et illustrateur lui a refilé le virus de la peinture et a même consenti à assurer la couverture de son dernier ouvrage. « Un lilliputien qui s’adresse à un géant ! », résume-t-il.
Qui a dit qu’à la soixantaine il fallait battre en retraite ? Prenant l’exact contre-pied, Philippe Bouteiller se plaît à déjouer les pronostics, après une première vie déjà bien remplie. Le Normand est parti de presque rien, rêvant d’agriculture et de liberté sans trop savoir comment les conjuguer. Une coopérative angevine lui a mis le pied sur le premier barreau de l’échelle. Convoyeur de cochons vers l’abattoir le matin, conseiller technique des agriculteurs l’après-midi. « J’ai ensuite monté tous les échelons dans cette entreprise, sauf le dernier. Le patron avait une trentaine d’années, alors... » Alors Philippe a pris la tangente direction Poitiers pour Unigrains, nanti de son BTS production animale en poche. La coopérative recherche des ingénieurs mais il convainc le chasseur de tête de lui donner sa chance. La mission est claire : « Réfléchir aux modèles économiques des exploitations agricoles ». Quatre ans plus tard, bluffé par ses résultats, le big boss lui propose un poste à Paris... qu’il décline poliment.
Le 1er janvier 1988, il crée NCA, « la première société française de conseil en agriculture ». Là aussi, le chef d’entreprise essuie quelques tempêtes. « Disons que pendant dix ans, ça a été dur, très dur même. Mais je suis tenace ! » Une crise agricole hors norme lui fait perdre « 90% de [son] chiffre d’affaires ». Le coup est rude mais le théâtre jamais très loin, « comme une soupape ». Au point qu’il hésite, un temps, à sauter le pas d’une carrière sur les planches. Avec du recul, on a « bien fait de me dire de poursuivre mon activité ». Car après le temps des vaches maigres, est venu celui de l’abondance pour NCA Environnement. En 2018, au moment de la cession, la PME employait 50 salariés.
« Je me souviens de mon père, discret, entouré par d’autres agriculteurs, qui lui disaient « Toi, Jacques, t’as pas bien réussi ta vie. » Et mon père de leur répondre : J’ai élevé sept enfants », sourit le père de deux enfants (Florent, Pierre) et grand-père de sept petits-enfants. Une façon de dire que l’accomplissement passe aussi par « la transmission » familiale, ce qu’on laisse comme trace. Ah, tiens, justement, ses cartes postales de marin « contrarié » sont désormais disponibles sous la forme d’un recueil de textes intitulé Ah, mon Georges !, illustré par le peintre poitevin Nicolas Maillet. Peinture et écriture. Théâtre et entreprise. Terre et mer. Philippe Bouteiller aime jouer les traits d’union.
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