Aujourd'hui
Les Syriens de Poitiers ne sont pas près d’oublier cette nuit du 7 au 8 décembre 2024. Contraints à l’exil par le régime de Bachar al-Assad, ils sont désormais pleins d’espoir même s’ils savent que la reconstruction de leur pays, exsangue, sera longue.
Dans la nuit du 7 au 8 décembre dernier, vers 4h du matin, Milad a entendu sa femme crier : « Il est parti ! Il est parti ! Il est parti ! » Puis les larmes de Nada ont coulé pendant deux jours. « La chute de Bachar al-Assad, c’était un rêve », explique son mari. Un rêve que les Syriens n’osaient plus faire. Comme ce couple de chrétiens de Jaramana, dans la banlieue de Damas, plus de six millions ont été contraints à l’exil. « On a perdu quatorze ans de notre vie ! Moi j’étais bien dans mon pays, mais Bachar al-Assad ne nous a pas laissés y vivre, il nous a obligés à repartir de zéro. On a dû traverser la mer et quatorze pays, mais soit on mourait là-bas, soit on découvrait une autre vie. » Au terme de leur périple, Milad, Nada et leurs trois fils alors âgés de 3 à 13 ans se sont installés à Poitiers. Neuf ans ont passé. « La Syrie est notre mère, la France notre père, assène Milad. On est très contents mais la bataille n’est pas finie, le chemin risque d’être encore sombre, et long surtout. On ne peut pas appliquer la laïcité comme en France car tous les Syriens sont croyants. Ce qu’il nous faut, c’est une constitution, un Etat civil qui garantisse les droits de chacun. » A ses côtés, Mohamed Moussa acquiesce. « La nouvelle administration donne des signes. Ce sont des islamistes mais j’y crois », confie le président de l’association Pour la paix en Syrie, en France depuis trente-huit ans. « Cela ne va pas être facile de reconstruire la Syrie. Bachar al-Assad a détruit le tissu social, il va falloir travailler à une constitution qui respecte toutes les communautés, soit une vingtaine, pour bâtir un Etat citoyen. Le peuple syrien a attendu quatorze ans sa liberté, il n’acceptera pas que les religions interfèrent dans l’Etat. »
« Un sentiment mitigé »
Mohamed a la nationalité française depuis longtemps déjà, Milad et Nada moins de deux ans, Arij quelques mois. La jeune femme de 34 ans a repris ses études en 2016 à son arrivée en France. « J’ai quitté la Syrie pour les mêmes raisons que tous les Syriens », lâche-t-elle, avant de préciser : « Mon mari travaillait à la Croix-Rouge syrienne. On l’a alerté qu’il était en danger. Son père avait déjà été emprisonné, alors en cinq-six jours on a pris la décision de partir pour le Liban, puis pour la France via l’ambassade. » Julien, 7 ans, est né à Poitiers. « Lorsque les rebelles ont pris Alep, on s’est demandé s’ils allaient continuer. » Quand le régime est officiellement tombé, « c’était la fête… mais avec un sentiment mitigé car un ami de mon mari, incarcéré dans la prison de Saidnaya, a disparu. » Aujourd’hui, « j’ai un peu peur mais j’ai de l’espoir car tous les Syriens ne craignent plus de dire « non », ils veulent un pays avec une loi qui les protège tous. Nous sommes Druses mais nous sommes avant tout Syriens, à 100%. »
En onze jours, les rebelles islamistes d’Hayat Tahrir al-Sham (HTS) ont renversé le régime mais « il va falloir au moins une génération pour reconstruire le pays, analyse Mohamed. Cela fait dix-sept ans que je ne suis pas allé en Syrie, à Zabadani, là où je suis né, glisse le sexagénaire, les yeux soudain embués. J’espère y retourner cet été. »
À lire aussi ...