Pour la première fois, le fonds d’indemnisation des victimes de pesticides a reconnu le lien entre le décès d’une fillette de 11 ans en 2022 et le métier de sa mère, fleuriste. La profession balance entre manque d’informations et omerta.
La nouvelle a fait l’effet d’une bombe. Le 9 octobre dernier, la cellule investigation de Radio France et Le Monde ont dévoilé le témoignage de Laure Marivain, dont la fille de 11 ans, Emmy, est morte en 2022. L’ex-fleuriste est la première à obtenir une reconnaissance officielle du Fonds d’indemnisation des victimes de pesticides, autrement dit à établir le lien entre l’exposition aux produits toxiques pendant sa grossesse et le décès de sa fille des suites d’une leucémie. L’avancée est importante et lève le voile sur un tabou bien ancré dans le métier.
Une forte méconnaissance
« Je dirais presque que c’est une découverte. » Comme une grande majorité de fleuristes, Bernard Fortin, installé à Poitiers, ignorait jusque-là courir de tels risques. « Nous avons des visites médicales mais on ne nous parle jamais de pesticides. »
Noémie, étudiante en brevet de maîtrise, déplore de son côté le manque d’informations sur le sujet à l’école. « On nous parle un peu des dangers qui concernent la manipulation de produits chimiques et des protections qu’il faut mettre, mais pas vraiment des risques que représentent les produits déjà présents sur les plantes. » Beaucoup manipulent en effet les végétaux à mains nues, quitte à avoir « les mains noires en nettoyant les tiges des fleurs coupées ». Pourtant,
« gants, chaussures de sécurité et même casque » sont conseillés, confie Christophe Moricet, fleuriste à Buxerolles. Des précautions prises à la légère. Au-delà, l’origine des fleurs s’avère être un facteur aggravant.
Tabou et omerta
« Vous pensez vraiment que pour gagner ma vie je vais m’empoisonner tous les jours ? »
Christophe Moricet est catégorique, la principale source d’exposition aux pesticides vient des fleurs importées. Tout comme son collègue poitevin, l’artisan privilégie au maximum les fleurs françaises, dont les taux sont plus contrôlés. Mais ils sont loin de représenter la majorité. Aujourd’hui, huit fleurs coupées sur dix vendues en France sont importées. Moins chères, elles génèrent une meilleure rentabilité. « Il y a une omerta sur ce sujet avec de gros industriels derrière. Certains professionnels ont peur de perdre leur fournisseur ou des bénéfices », certifie Christophe Moricet.
Peu de fleuristes osent s’exprimer dans les médias. Pourtant, ils sont nombreux à être inquiets. « On parlait beaucoup des pesticides chez les agriculteurs mais pas dans nos métiers. Mes enfants jouaient régulièrement dans ma boutique, je me dis quelque part que j’ai joué avec leur vie sans le savoir », témoigne Françoise, aujourd’hui retraitée. La Fédération française des artisans fleuristes assure de son côté que « la filière du végétal respecte aujourd'hui un cadre législatif et réglementaire strict en matière d’utilisation des produits phytosanitaires. Les substances sont soumises à autorisation par les pouvoirs publics et leur utilisation contrôlée ».