Le Regard de la semaine est signé Sarah Sauquet.
Si l’on m’avait confié une chronique pour une veille de Saint-Valentin quelques années plus tôt, je vous aurais sûrement parlé de l’amour-passion, ce bourreau légendaire devant lequel on s’agenouille et à qui l’on pardonne tout. Une carte de Tendre repliée et quelques rides au compteur plus tard, l’amour est devenu un sujet auquel il m’est impossible de renoncer, mais que je ne veux désormais voir traité qu’avec une infinie précaution.
Trop de films et séries aux sujets en or me semblent gâchés car on y a inséré une histoire d’amour qui nous écarte du propos principal. La solitude des célibataires m’est trop âpre pour que je puisse encore me satisfaire de téléfilms sans sous-texte, aux dénouements téléphonés. Je vois trop d’abus autour de moi pour ne pas rire jaune devant les comédies romantiques qui banalisent les mécanismes d’emprise, nient la possibilité du non-
désir ou sacrifient la question du consentement sur l’autel de l’humour potache. Beaucoup d’entre elles évitent, heureusement, ces écueils. Je suis enfin lassée de ce langage de la passion qui contamine la critique :
chaque semaine, ou presque, sortirait en librairie ou au cinéma une œuvre « bouleversante » ou « exceptionnelle ». Des œuvres exceptionnelles ou qui me bouleversent durablement, je dois en compter trois ou quatre par an.
Aujourd’hui, l’amour me fascine en tant qu’engagement, et ce serait une erreur de sous-estimer sa charge explosive. Il y a bien sûr l’engagement à former un couple ou fonder une famille, quelle qu’elle soit. Préservation de l’identité, vertige des métamorphoses, érosion du désir, tentation de l’infidélité constituent certaines des épreuves reines que couples, parents et tuteurs doivent relever sur la piste cendrée du quotidien.
Plus envoûtant encore est l’appel de la vocation qui, au nom du lien et du collectif, de la spiritualité ou d’une discipline, pousse au don de soi. L’amour devient alors un mystère, au sens religieux du terme. Dans ce mystère se nichent les crics qui élèvent et font le désir d’édifier, comme ces ascèses qui emportent avec elles les choses de la vie et font les renoncements déchirants. Les grandes douleurs ont beau être muettes, toucher du doigt ce mystère et avoir le courage de l’explorer, sans se défausser, c’est prendre possession du bureau de sa propre légende. Le romanesque le plus débridé pourrait bien jaillir des entrailles du poste-frontière où il est censé achever sa course folle et clandestine.
CV express
Parisienne amoureuse de la Vienne. Littéraire passionnée par la pop culture. Prof de lettres, autrice, créatrice d’applications littéraires. Curieuse des êtres, sensible aux choses de la vie et trajectoires complexes. Aimerait vivre dans un film de Claude Sautet. Dr Fervente Mrs Inquiète. Atteinte d’une Maladie inflammatoire chronique de l'intestin (Mici).
J’aime : le goût de l’effort, l’empathie, l’audace et le courage, prendre un thé chez Jasmin Citronnelle à Poitiers.
J’aime pas : la flagornerie, la malhonnêteté intellectuelle, la jalousie.
DR Emilie Château