Nuits insolites - Le musée Sainte-Croix en sourdine

Dans une cabane flottante, dans une yourte ou une cellule… Les lieux de déambulation nocturne ne manquent pas. Pour le troisième épisode de ses « Nuits insolites », la rédaction vous emmène au musée Sainte-Croix.

Claire Brugier

Le7.info

Arrrrgh, mais qu’est-ce que… « Une mandibule de mammouth », glisse Thomas tandis que le faisceau de ma lampe torche interroge une forme blanchâtre. Jolie mâchoire ma foi ! Ma déambulation nocturne au musée Sainte-Croix commence par le secteur archéologie, au sous-sol, dans les entrailles du bâtiment dessiné au début des années 1970 par l’architecte Jean Monge. J’avais naïvement imaginé errer seule de salle en salle toutes lumières éteintes mais, sécurité oblige, Thomas et son collègue Nicolas m’accompagnent de loin en loin. Les deux agents d’accueil et de surveillance du musée déverrouillent les portes et les referment sur notre passage, en silence. Ici les rumeurs de la ville ne percent pas. Il n’y a que ce bruit sourd et continu… J’imagine la Grand’Goule ronflant dans un recoin des 
2 000m2 d’exposition, mais la légendaire bestiole étant en vadrouille du côté de Lens, il est plus probable que ce soit le ronronnement de la soufflerie.


Silence et immobilité

Dans la lumière blafarde des issues de secours, les murs et colonnes de béton de l’architecture brutaliste se confondent avec les vestiges antiques en pierre claire, les vitrines se font opaques. Faute de pouvoir suivre les flèches au sol, le parcours devient aléatoire, le bâtiment labyrinthique.

Aaah, père De la Croix, vous m’avez fait peur ! Je ne m’attendais pas à vous croiser dans cet angle, enfin plus précisément votre buste en plâtre patiné -aux yeux effroyablement creux !- réalisé par Aimé Octobre, sculpteur originaire d’Angles-sur-l’Anglin. 


L’archéologue jésuite (1831-1911) ne semble pas enclin à taper la causette. Dommage, j’aurais eu quelques questions à lui poser sur les fouilles qu’il a menées au baptistère Saint-Jean ou sur le site gallo-romain de Sanxay. Plus loin, se détachant dans l’obscurité, une silhouette humaine m’intrigue. Malgré son bras manquant, Athéna prend la pose. A croire que la déesse grecque s’est installée sciemment sous la lumière. 

Pourtant, de nuit, même Radegonde, la fondatrice de l’abbaye Sainte-Croix et sainte patronne de Poitiers, n’a pas la faveur des projecteurs. La peinture et le vitrail à son effigie, bien que mesurant plusieurs mètres de haut, ne sont que des rectangles sombres dans l’escalier où débute le nouveau parcours médiéval inauguré en décembre. Sauf bien sûr à faire passer un rai de lumière derrière le vitrail… 


Sur le palier, l’obscurité est moins écrasante, la scénographie plus rassurante, ne serait ce petit personnage pétrifié dans un chasse-reliquaire de l’abbaye de Mirebeau. Bras levés et regard courroucé, il semble s’offusquer de ma présence mais ne pipe mot. Non loin, un « cervidé » en bois -c’est le cartouche qui le dit !- reste stoïque. A croire que tous se sont donné le mot. Dans le film de Shawn Levy Une Nuit au musée (2006), les œuvres du Museum d’histoire naturelle s’animaient, elles ! A moins que les deux gisants de la salle suivante ne soient pas allongés par hasard devant ces étagères garnies de pots. De corvée cuisine cette semaine ? Pas de réponse… A travers la large baie vitrée, le baptistère Saint-Jean et une tour éclairée de la cathédrale Saint-Pierre plantent le décor de la ville endormie. 


Beaux-Arts

Derrière une nouvelle porte, la section Beaux-Arts débute avec une huile sur toile du siège de Poitiers par l'amiral Gaspard de Coligny en 1569, peinte cinquante ans plus tard par François Nautré. Que de cadres par ici ! Sous l’effet de la lampe, les yeux de la veuve de Sarepta désignée par Elie semblent plus implorants, le teint de lis de ces dames encore plus éclatant. La lumière fait aussi briller les sculptures, les pommettes de la Vieille Hélène de Camille Claudel, les corps nus des trois Nymphes de la prairie d’Aristide Maillol ou encore Anthinéa. Alanguie sur une peau de lionne, la petite statue de marbre fait les yeux doux à un Samson rageur prêt à sortir de son cadre. 


Peints ou peintres, la section regorge d’hôtes de renoms comme Pierre Bonnard, Piet Mondrian, Henri Doucet, Maria Blanchard, Romaine Brooks… La « salle des enfants » aussi, où les tableaux sont accrochés plus bas. Parmi eux, la Petite Fille en rouge d’André Brouillet et, au niveau de la sortie, l’autoportrait du peintre de Charroux qui semble me souhaiter une bonne nuit. Mais derrière la porte, peint à même le mur, le chat aux yeux jaunes et aux dents acérées du graffeur poitevin Syrk me guette. Même pas peur ! Et même prête à revenir. C’est tellement calme, un musée, la nuit…

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