A Poitiers, des magistrats 
à bout de souffle

Les magistrats du tribunal judiciaire de Poitiers croulent sous les audiences. Alors que les délais de traitement des affaires ne cessent de s’allonger, les effectifs restent sous-dotés et désespèrent de voir arriver des renforts.

Steve Henot

Le7.info

Ils tenaient à marquer le coup. Le 30 janvier, plusieurs magistrats ont boycotté l’audience solennelle de rentrée du tribunal judiciaire de Poitiers. Dans un petit texte déposé sur les bancs et rédigé par les représentants syndicaux des agents, fonctionnaires et magistrats, ils dénoncent 
« le manque d’effectifs » et une « insuffisance chronique de moyens », lesquels engendrent un ralentissement de l’activité et allongent les délais de traitement. Huit mois pour une affaire devant le juge des affaires familiales, dix-sept pour une affaire pénale et vingt-trois pour un litige de sécurité sociale…


« Nous n’avons pas réussi à rattraper les délais liés à la grève de 2020 et au Covid. Et on va bientôt nous demander des audiences pour 2025… », souffle Stéphane Winter, représentant du Syndicat de la magistrature. Problème : l’état des effectifs est particulièrement dégradé, les personnels rincés par la surcharge d’activité depuis des mois. « On a des arrêts de travail à répétition, certains étirés sur plus d’un an… Deux collègues sont revenus mais chacun à 50% -soit un poste à temps plein vacant- un a repris à 80% et un autre est encore en arrêt total. » 


Quarante audiences supprimées

Selon un rapport de l’Insee publié en 2018, la Vienne possède en moyenne deux fois moins de juges, procureurs et greffiers que les autres régions de France. En 2022, le passage du tribunal judiciaire en catégorie supérieure s’agissant de son importance en termes d’activité a créé trois postes de magistrats supplémentaires. Ils ne sont toujours pas pourvus... « La cour d’appel n’a pu affecter qu’un seul magistrat en renfort, début 2023, compte tenu du faible nombre de magistrats à disposition et des difficultés des autres tribunaux, notamment à La Rochelle », explique le représentant syndical. L’augmentation des moyens humains et financiers annoncée par le Garde des Sceaux, Eric Dupont-Moretti, a été bien accueillie dans les rangs mais… ne répond pas à l’urgence de la situation. « On n’en verra les effets qu’en septembre 2025 puisque s’agissant des magistrats deux ans et demi de formation sont nécessaires. On n’a plus de filet de sécurité comme auparavant ! »


Reconnaissant que « la bonne volonté (des magistrats) ne suffit pas », le procureur de la République Cyril Lacombe a annoncé la suppression d’une quarantaine d’audiences, dont certaines au pénal, afin de soulager les effectifs. Une décision rare. « La hiérarchie a pris conscience qu’on ne pouvait plus continuer comme cela », observe Stéphane Winter. Le magistrat, qui a déjà accepté de surcharger une audience pour 
« ne pas désespérer la famille », sait aussi que le justiciable va en pâtir le premier, avec un nouvel allongement des délais. « On est confronté à de la colère, un sentiment d’injustice, de l’incompréhension… C’est une souffrance éthique qui nous touche, qui continue d’atteindre notre moral. » Dans quelques semaines, le tribunal judiciaire de Poitiers connaîtra les prochaines affectations de septembre, espérant compter sur le renfort de magistrats sortis d’école. « Avec un départ en retraite qu’on espère voir compensé. »

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