La reconquête des Templiers

Depuis quelques mois, la place des Templiers bénéficie d’une nouvelle dynamique. Initiatives et bonnes volontés se multiplient dans ce secteur enclavé de Beaulieu. Une façon de redorer l’image écornée du quartier.

Romain Mudrak

Le7.info

Ils ne voulaient plus être salariés et cherchaient une supérette à reprendre. Un petit tour sur Leboncoin et voilà comment Jean-François Oriot et Jérôme Saillant, à peine la trentaine, ont quitté leur cité de Seine-Saint-Denis pour la place des Templiers, à Poitiers. « On a investi pas mal d’argent pour mettre un coup de neuf dans le magasin et faire revenir les gens », raconte Jean-François. Résultat, depuis l’ouverture en août, les deux associés sont plutôt contents du chiffre d’affaires généré. Et surtout, ils se sont fait une vraie place dans le quartier. « On discute entre humains, au-delà des préjugés, on rigole avec tout le monde, c’est peut-être parce qu’on vient de banlieue parisienne, mais ça passe bien avec les gars du quartier », assure Jérôme. Allumée 7/7j, de 8h à 22h, leur enseigne est comme un phare dans la nuit. De quoi apaiser les tensions qui avaient pu se manifester auparavant. En proie à une mauvaise image depuis des années, ce secteur enclavé de Beaulieu foisonne désormais d’initiatives. Et ce ne sont pas les bénévoles de Young Revolution qui diront le contraire. Cette association créée par des migrants récemment débarqués sur le territoire aident d’autres jeunes à s’épanouir par la musique. « Depuis qu’on a ouvert notre studio d’enregistrement, on a entre deux et cinq appels par jour », assure Alphonse. A tel point que le groupe se retrouve un peu victime de son succès et réclame des moyens humains et financiers supplémentaires pour continuer son action (lire ci-dessous). Une chose est sûre, ils mènent un travail d’utilité publique. « Les jeunes qui passent ici sont motivés, ils ne trainent pas dehors après l’école. »

Tout n’est pas rose

Le Pimms de Grand Poitiers a installé sur la place une antenne hébergeant une quinzaine d’« ambassadeurs de l’environnement » en service civique. Un atelier de réparation de vélo verra bientôt le jour dans l’ancien hammam. Sans oublier les nombreux commerces (pharmacie, tabac-presse, boulangerie, produits exotiques...) et les écoles à proximité. Les riverains ne s’y trompent pas. Contrairement à une idée reçue, « il n’y a pas de vacance des appartements ici », selon Stéphanie Bonnet. La directrice d’Ekidom avance aussi une autre raison : « Avec les travaux de rénovation énergétique, loyers et charges sont maîtrisés. » Les derniers balcons rouillés ont été transformés en ravissantes loggias. Et les graffs de l’artiste Saïd Boucenna participent du renouveau.

Attention, tout n’est pas rose. Les Templiers restent un point de deal de Poitiers, « en miroir avec la Grand-Goule », indique la police nationale qui travaille main dans la main avec Ekidom pour « favoriser les aménagements de sécurité préventionnels ». Toutefois, un collectif d’habitants s’active pour occuper le terrain. La prochaine réunion publique, prévue le 3 février à 18h au centre d’animation, abordera sûrement le sort du bar emblématique de la place, déserté depuis des années, qui pourrait se muer en lieu convivial autour du jeu.

Young Revolution, victime de son succès
Alphonse cherchait depuis longtemps un local pour installer le studio d’enregistrement de Young Revolution. Aujourd’hui, grâce au soutien d’Ekidom, il l’a trouvé au rez-de-chaussée des immeubles blancs de la place Philippe-le-Bel, à deux pas de la place des Templiers. Deux canapés et une table de salon sont posés à l’entrée, un long couloir dessert une régie son, une petite salle avec un micro et une cuisine simplement équipée d’un petit réfrigérateur. « On a acheté les meubles avec notre argent personnel, j’ai même ramené les miens », détaille Alphonse. Les lieux ont trouvé leur public. De plus en plus de jeunes de tous les quartiers se déplacent pour assouvir leur passion pour la musique. L’isolation phonique « faite maison » remplit son rôle. Mais pour le reste, l’association manque cruellement de moyens. Le loyer est abordable mais l’électricité augmente comme partout. La semaine dernière, une infiltration a créé une grande flaque près des écrans.
« Les jeunes sont de plus en plus nombreux à venir mais on ne peut pas les faire payer, ils n’ont pas les moyens, ça risquerait de les décourager. En revanche, une fois qu’ils ont enregistré leur propre son et qu’ils veulent faire un clip ou autre, là ils ont envie de trouver un petit contrat pour gagner de l’argent. » Young Revolution motive ses troupes à sortir de la galère. Sauf que pour tourner les clips, enregistrer, mixer, il faut du matériel et des gens capables de le faire fonctionner. Alphonse, Lenine et une poignée d’autres bénévoles font « tourner la boutique » le soir et une partie de la nuit, mais ils s’épuisent. « Certains jeunes viennent pour apprendre mais ils ne sont pas prêts. » Alors l’association lance un appel à toutes les bonnes volontés au profil d’ingénieur du son qui voudraient bien les aider à poursuivre l’aventure.

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