Aujourd'hui
Mad Joubert. 74 ans et quelques jours. Féministe, écologiste. Réservée autant qu'elle est engagée. Attentive à l'actualité et à la société.
A l’examinateur du bac de français qui l’interrogeait -s’interrogeait ?- sur son choix de texte, extrait d’un roman de Virginie Despentes, sa petite-fille a simplement répondu que sa grand-mère était féministe. Point. A 74 ans fraîchement sonnés, Mad Joubert sourit, émue par l’hommage, confortée aussi dans son rôle de passeuse. Féministe, la Poitevine l’est assurément, de longue date, depuis son entrée au Mouvement de libération des femmes (MLF). Elle avait 20 ans à peine, mineure engagée dans une cause majeure. A cette époque, elle a même voulu renouer avec la Marie-Madeleine qu’elle reste à l’état civil. « J’ai re-aimé ce prénom en étudiant la vie de Marie-Madeleine. » Mais il était trop tard. Le diminutif lui collait déjà à la peau et, de toute façon, la jeune femme avait d’autres combats à mener. Le féminisme avait ouvert la porte, inversement nourri par une éducation conventionnelle à l’excès. « Mon père était allé chez les jésuites. A Crépy-en-Valois, dans l’Oise où je suis née, on l’appelait « l’abbé Macaire »… Ma mère venait d’un autre monde, bourgeois. Son père était patron d’une usine d’engrais, elle a été l’une des premières filles à avoir son bac à Crépy. Elle est devenue secrétaire. Puis elle a tout lâché pour éduquer ses six enfants. »
Mad, deuxième-née de la fratrie, a donc vu sa mère « empêchée », elle a aussi perçu les contradictions paternelles. D’un côté, l’auteur du concept de mutance(*), fondateur des réseaux Espérance, « a poussé ses quatre filles à faire des études jusqu’au bac » ; de l’autre « il a écrit que le chômage était lié au fait que les femmes avaient commencé à travailler » (sic). L’homme, employé à la brosserie Péchon, porte de Paris, avant de raccrocher une licence de psychologie, était semble-t-il aussi inspiré dans ses écrits qu’il était sévère en privé. « Il est mort subitement à 77 ans. Depuis, je vois les choses différemment…, confie Mad. Quand nous avons rangé sa bibliothèque avec mes frères et sœurs, nous avons découvert des livres qui correspondaient à chacun de nos engagements, la poésie pour l’une de mes sœurs, la politique pour mon frère Jean-François (ndlr, ancien président de Région)… » Troublée, sa fille semble désormais prête à apporter des nuances au portrait austère laissé par le personnage. Elle n’en regrette pas pour autant son indiscipline d’antan.
« J’étais assez rebelle »
« Je suis allée à La Providence mais j’étais assez rebelle contre les curés et les bonnes sœurs », convient-elle. Les amies enceintes qui disparaissaient, les incitations à la délation… La lycéenne fulmine, rate une première fois son bac, l’obtient finalement mais ses parents ne veulent plus financer ses études supérieures. Alors, « attirée par Berlin », elle s’imagine déjà outre-Rhin. L’Histoire en décide autrement.
« Est arrivé mai 68 ! », lâche Mad. Etrange providence. La jeune femme quitte le nid, s’encarte au PSU, rencontre France Joubert, autre figure engagée de Poitiers (Le 7 n°178) et se retrouve « enceinte sans être mariée ». « Sous la pression familiale », elle se marie, pour au moins cinquante-deux ans, deux enfants -« des battants »- et cinq petits-enfants. « Nous avons la même façon de penser. Ensemble, on est en paix », glisse-t-elle en parlant de son syndicaliste de mari. Elle l’a converti à la cause des femmes, il l’a ralliée à la CFDT. En soixante-huitards assumés, ils ont même expérimenté pendant plusieurs années la vie en communauté, le week-end, avec trois autres couples. Aujourd’hui, tous deux croisent leurs regards vigilants sur l’actualité, et plus encore depuis que la retraite a sonné.
Une réserve naturelle
Habitée par la fibre sociale, Mad a commencé à travailler à l’Institution de Larnay, à Biard. Ici encore, les injustices la révoltent : le traitement des religieuses sourdes, l’« éducation mortifère » infligée aux enfants qu’il faut « démutiser »... Elle finit par se lasser, passe un diplôme d’orthophoniste en trois ans, à Tours. « Tous les matins, je laissais mes enfants… », se désole-t-elle. Elle intègre ensuite le service de pédopsychiatrie du CH Laborit, prolonge à l’Institut thérapeutique éducatif pédagogique de Guron, à Payré.
Au fil des ans, ses engagements se politisent. En 1995, elle est élue aux côtés de Jacques Santrot. Le maire sortant de Poitiers « voulait féminiser sa liste ». Il a fait entrer les louves dans la bergerie. Aux côtés de Catherine Coutelle, Mad s’investit dans l’association Pluri’Elles pour la parité, aujourd’hui partie prenante du Collectif du 8 Mars. Elle s’active aussi au sein du CIDFF. Grande voyageuse -« sac au dos et avec le Routard »- devenue militante d’Europe Ecologie-Les Verts, la cycliste au quotidien vit les enjeux climatiques comme « un arrachement ». Droits des femmes, traite humaine, migrants, laïcité, environnement… Ses combats s’additionnent. Mad les peint souvent mais « les migrants, les femmes battues… ce n’est pas porteur ! », constate-t-elle dépitée. N’empêche, « je ne vais pas peindre des animaux ! » A la vie comme sur ses toiles, la septuagénaire aime la justice, la justesse. « Quand je vois les choses, j’ai envie de les dessiner, pas de les photographier. J’aime le crayon, le porte-plume... les traits durs. Il faut que ce soit juste. »
Ses cheveux d’un roux flamboyant et ses tenues colorées aperçus de mobilisations en manifestations ne sont qu’un leurre. Ils dissimulent une réserve naturelle qu’elle malmène pour les bonnes causes, et pour passer le flambeau à la jeune génération. Celle de ses petits-enfants. « Pourvu qu’ils aient la capacité de résilience nécessaire, espère-t-elle. Nous, on avait l’avenir devant nous. »
(*)Auteur de La Mutance, clé pour un avenir humain, paru en 1988.
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