Fin de vie, début d’un consensus ?

Le Comité consultatif national d’éthique ouvre la voie au suicide assisté, assorti de beaucoup de conditions. Une grande consultation citoyenne démarrera en octobre. Avant une nouvelle loi ?

Arnault Varanne

Le7.info

Le verdict est tombé le 16 février 2022 : sclérose latérale amyotrophique (SLA) ou maladie de Charcot. Annick Redon a 66 ans et « son état de santé se dégrade de jour en jour, explique son mari, Thierry. A l’extérieur, elle se déplace en fauteuil et à la maison en déambulateur. Ma femme ne parle plus, ne peut plus manger ni déglutir. » 
Cette semaine, la retraitée sera au CHU de Limoges, où les médecins procèderont à une gastrostomie. Et après ? « Quand elle a su, elle a immédiatement parlé d’euthanasie. Je suis d’accord avec elle, notre fils et nos amis aussi. » Sauf qu’en France l’aide active à mourir vient juste d’être évoquée par le Comité consultatif national d’éthique (CCNE). La loi Claeys-Leonetti de 2016 -dont la sédation profonde et continue est l’avancée majeure- s’adresse d’abord et avant tout aux malades dont la fin de vie n’excède pas quelques jours ou quelques semaines. 
« Mais mon épouse a rédigé ses directives anticipées, désigné une personne de confiance... Aujourd’hui, la souffrance est plus mentale que physique, mais jusqu’à quand devra-t-elle attendre ? »

L’ADMD pour une loi sociétale

Le couple d’Aslonnes réfléchit à « aller ailleurs », par exemple en Belgique, où l’euthanasie est dépénalisée depuis 2002. 
« Avec l’exemple belge, on a vingt ans d’expertise et beaucoup de débats et commissions ont eu lieu depuis en France », argue Luc Bonnet. S’il reconnaît que l’avis du CCNE « va dans le bon sens »,
 le délégué Vienne-Deux-Sèvres de l’Association pour le droit de mourir dans la dignité (ADMD) trouve le temps long. 
« Cette future loi doit être sociétale, comme le droit à l’IVG ou au mariage pour tous », insiste-t-il. Quelques milliers de personnes comme Annick seraient concernées tous les ans dans l’Hexagone. « La grande majorité des situations de fin de vie pénible résultent d’une mise en œuvre insuffisante voire défaillante des dispositifs réglementaires en vigueur, admet Alain Claeys, co-rapporteur de l’avis du CCNE. Dans dix départements, il n’y a pas de service de soins palliatifs et les directives anticipées restent trop rares. »

« A la société d’apporter une réponse »

En ce sens, le Comité national d’éthique contribue (un peu) à faire bouger les lignes. Mais il évoque pour la première fois une aide active à mourir « ouverte aux personnes majeures atteintes de maladies graves et incurables, provoquant des souffrances physiques ou psychiques réfractaires, dont le pronostic vital est engagé à moyen terme ». Ces personnes devraient bénéficier d’une « autonomie de décision au moment de la demande ». Dans le cas d’espèce, le médecin prendrait la décision à l’issue d’une procédure collégiale et une clause de conscience serait mise en place. Mais ces suggestions restent virtuelles. Le Président de la République a annoncé le lancement d’une consultation citoyenne d’ici octobre. « Ce sera à la société d’apporter une réponse, estime le Dr Laurent Montaz, responsable du service des soins palliatifs du CHU de Poitiers. Une personne qui dit vouloir être euthanasiée ou bénéficier d’un suicide assisté, il est souhaitable qu’elle rencontre une équipe de soins palliatifs qui lui explique ce qu’elle peut lui apporter. » Avant de se diriger, si elle persiste dans son choix, vers « un centre spécialisé en dehors du milieu hospitalier » ? 
Réponse à l’automne 2023.

(*)Un débat sera organisé le 
23 novembre, à l’Espace Mendès-France, en présence de la présidente nationale de l’ADMD Belgique, Jacqueline Herremans. 

 

 

Dr Montaz : « Allons jusqu'au bout de la logique »

Le Dr Laurent Montaz dirige le service de soins palliatifs du CHU de Poitiers. Il réagit à l'avis du Comité consultatif national d'éthique. 

Comment avez-vous accueilli l'avis du CCNE ? 
« Sereinement, c'est un avis qui comprend des questionnements de la société sur la fin de vie, de tout temps. La première partie indique la nécessité de renforcer les soins palliatifs, notamment l'accès par la population, en ville, en milieu rural. Ce n'est pas toujours le cas aujourd'hui. Beaucoup de gens ne savent pas qu'on existe, ce que sont les services de soins palliatifs. Une quinzaine de recommandations portent là-dessus et je ne peux les accueillir qu'avec enthousiasme. »

A Poitiers, considérez-vous manquer de moyens ? 
« C'est une question difficile. Il faut prendre les soins palliatifs dans un contexte médical global et, actuellement, nous ne sommes pas épargnés. Nous avons nous aussi des difficultés de moyens humains mais qui restent relatives. On a beaucoup de chance à Poitiers. Mais cet avis du CCNE est tout de même paradoxal : comment renforcer les équipes, la formation ? »

Comment faire en sorte que les directives anticipées se développent et donc que les gens expriment leurs volontés ? 
« A Poitiers, grâce à l'Agence régionale de santé et au CHU, nous avons créé une Cellule d'information et de recueil des directives anticipées, qui va dans les Ehpad, travaille avec les médecins généralistes, la CPAM pour sensibiliser le public à cette question. »

Quel regard portez-vous sur la nouveauté de cet avis, l'aide active à mourir pour des personnes dont le pronostic vital est engagé à moyen terme ? 
« Certaines personnes ne sont pas au bout de leur vie mais atteintes d'une maladie grave et incurable. L'avis parle de "souffrances physiques ou psychiques réfractaires". Il faut déjà être certain que l'on a utilisé tous les traitements. Le nombre de situations peut se réduire. Si tout a été essayé, il reste des gens qui ne trouvent pas de réponse dans la loi actuelle. Je ne veux pas me prononcer sur « il faut ou il ne faut pas ». Dans ces situations extrêmes, comment accompagnons-nous, que dit la famille ?... Il faut parler de collégialité, d'interdisciplinarité. Une personne qui dit vouloir être euthanasiée ou bénéficier d'un suicide assisté, il est souhaitable qu'elle rencontre une équipe de soins palliatifs qui lui explique ce qu'elle peut lui apporter. Il faut prendre beaucoup de précautions vis-à-vis de ces gens qui souffrent et lutter avec acharnement contre la souffrance. »

L'ADMD parle d'une loi sociétale, partagez-vous ce terme ? 
« On ne parle pas de quelque chose de médical. Quand vous demandez à être euthanasié, n'allez pas le demander à des gens qui se sont engagés à protéger la vie. Il faut que la personne aille dans un établissement spécialisé, en dehors du système hospitalier, après avoir rencontré une équipe qui l'aura entendue. Allons jusqu'au bout de la logique. La mort, le vieillissement, le handicap, on ne l'accepte plus, cela fait pourtant notre condition humaine. »

DR Archives CHU de Poitiers

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