Hier
Le Regard de la semaine est signé Didier Moreau, directeur de l'Espace Mendès-France, à Poitiers.
La langue française a des détours stimulants. C’est en essayant de mieux partager ce qu’était « l’eau virtuelle », terme en émergence un brin énigmatique, que je me suis posé la question du mot empreinte et du mot emprunt. Faisons un petit retour en arrière. L’empreinte écologique, notion à approfondir, est passée dans le vocabulaire commun pour évoquer nos enjeux environnementaux. Elle a le mérite de mettre en évidence ce qui ne va pas de soi : nos activités laissent une trace dans notre environnement. Cet impact inévitable doit être pensé comme réversible, sur le court terme, et permettre de conserver une situation environnementale en équilibre. Là où les choses se compliquent c’est que ce postulat de départ s’entend pour ce que l’on voit, ce qui est fait dans notre espace de vie immédiat. Mais nos activités se déploient bien plus largement avec les biens et services qui viennent de loin, voire de très loin. En d’autres termes, mais nous le pressentons, ce que nous consommons de manière concrète et visible par nos activités domestiques, professionnelles, de consommateur comme de producteur, est largement complété par d’autres éléments.
Pour illustrer ce propos, prenons l’eau. Nous ne savons pas, ou si peu, qu’un litre de lait nécessite 35 litres d’eau, un kilo de riz, 1 400 litres. Regardez votre tasse de café, 140 litres sont demandés. Le « référencement » est loin d’être fait, il sera pourtant indispensable dans le futur. C’est encore plus vrai pour des objets lointains devenus si quotidiens tels un jean, 7 à 8 000 litres, l’ordinateur qui approche le million de litres. Cette eau est bien quelque part et, si elle n’est pas « chez nous » en apparence, elle vient bien à nous. Concrète sur le lieu de production, elle devient virtuelle dans sa consommation. C’est ce qui définit notre empreinte, globale, car à la fois ici et lointaine. Cette eau qui nous constitue doit plus que jamais être prise en considération.
Notre conscience de cet état de fait ne doit pas nous enfermer, pas plus qu’elle ne doit être placée sous contrainte. Elle doit permettre d’intégrer notre dimension planétaire. Notre capacité d’acteur, caractéristique de l’espèce humaine depuis des millénaires, est ainsi mise à l’épreuve. Mais le récit du futur ne s’écrira pas avec une gomme, il faut savoir observer ce qui se fait et se tente partout dans le monde, mais aussi tirer des leçons de l’histoire. C’est donc une mise en culture de ces notions qui nous attend. L’empreinte actuelle est un emprunt sur les temps à venir, mais la quantifier restera largement insuffisant pour engager la métamorphose à venir. Finissons avec Edgar Morin qui fêtera ses 101 ans dans quelques jours : « L’idée de métamorphose, plus riche que l’idée de révolution, en garde la radicalité transformatrice, mais la lie à la conservation, de la vie, de l’héritage des cultures. »
CV express
Formé à l’université de Poitiers avec une double compétence économique et scientifique, je suis directeur de l’Espace Mendès-France depuis mai 1991. Mes responsabilités nationales dans la culture scientifique et mon expérience d’élu local m’ont apporté beaucoup. J’accompagne avec bon- heur les projets de mon ami Edgar Morin, des acteurs de la Grande Muraille verte et du Pacte mondial des jeunes pour le climat.
J'aime : Victor Hugo, Montaigne, la Louisiane, Quentin de la Tour, la po- litique, les jardins remarquables, les enthousiastes, Jules Verne, la pierre du Périgord noir, la convivialité.
J’aime pas : les mégots de cigarettes, le simplisme, les péremptoires, la vindicte, l’individualisme, les impatients congénitaux.
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