Aujourd'hui
Dans la Vienne, les enfants aux dents cariées doivent attendre très longtemps avant de pouvoir prétendre à une intervention chirurgicale sous anesthésie générale. Cette situation est d’autant plus dure qu’elle concerne d’abord des populations précaires.
Le petit Jordan(*) a seulement 5 ans mais ses dents lui causent déjà des soucis. Plusieurs caries l’embêtent. « Tout petit, il a fait une mauvaise chute et, depuis, j’ai toujours eu du mal à lui laver les dents », concède sa maman. Elle élève seule ses cinq enfants dans le quartier de Beaulieu, à Poitiers. Direction le dentiste. Problème, Jordan bouge trop ! Entre la douleur et l’appréhension, difficile de convaincre le petit bonhomme de rester calme le temps de l’intervention. Le praticien ne parvient pas à le soigner dans de bonnes conditions au sein de son cabinet. Il décide d’orienter sa mère vers le CHU de Poitiers pour que l’enfant bénéficie d’une anesthésie générale. « Malheureusement, quand j’ai appelé en septembre 2021 pour prendre rendez-vous, on m’a dit qu’il n’y avait pas de place avant 2022, reprend la mère de famille. Quand j’ai rappelé en janvier, on m’a encore demandé de patienter. Que fait-on pour les urgences ? »
Son cas est loin d’être isolé. Le service d’odontologie du CHU de Poitiers reçoit quasiment tous les enfants « multicariés » ou phobiques des quatre départements de l’ex-Poitou-Charentes. Et « seuls deux à trois créneaux sont disponibles pour des anesthésies générales chaque semaine », indique le Dr Doniphan Hamer. Ce dentiste libéral intervient à l’hôpital une demi-journée par semaine sous le statut d’attaché hospitalier. Pour lui, le problème vient de « la disponibilité du plateau technique, du manque d’anesthésistes et d’infirmiers spécialisés ». « Je regrette cette situation parce qu’il y a une sorte de perte de chance des patients, reprend le vice-président du Syndicat national des chirurgiens-dentistes. Il faudrait plus de places pour tout le monde. »
Être soigné ailleurs
Le chef du service d’odontologie confirme que ses patients, enfants et adultes, n’ont accès au bloc que le mercredi matin. Et met en avant le manque d’anesthésistes. « La situation est la même dans toute la France. » Le Dr Franck Florentin ne voit pas de solution à court terme. « On soulage les patients autant que possible et on essaie toujours d’autres solutions avant l’anesthésie générale comme le meopa (le gaz hilarant, ndlr). Nos étudiants (dentistes) ont souvent un rapport plus facile avec les enfants, ils parviennent à les rassurer, ce qui répond à une partie du problème. » Mais pour les plus réfractaires, les délais s’allongent. Jusqu’à « six mois » actuellement.
Un médecin hospitalier, huit praticiens extérieurs à temps partiel et des étudiants en sixième année de dentisterie se répartissent les interventions (12 764 admissions en 2021). 50% des patients viennent des autres étages du CHU. La seconde moitié est adressée par les dentistes libéraux. Un chiffre en progression. « Beaucoup de praticiens ne soignent pas les enfants et les envoient directement au CHU », déplore le Dr Florentin. Faute de places, les parents sont incités à tenter leur chance à Nantes, Tours, Bordeaux ou La Rochelle. Des destinations que certains budgets, comme celui de la mère de Jordan, ne peuvent pas se permettre.
(*)Le prénom a été modifié.
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