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Julie Sicard. 45 ans. Comédienne poitevine, 518e sociétaire de la Comédie française. A fait ses débuts au théâtre avec la compagnie de Jean-Pierre Berthomier. A joué plus de cinq cent fois Le Malade Imaginaire de Molière, par Claude Stratz. Proche de Benjamin Lavernhe et de Yoann Gasiorowski, les autres Poitevins du Français. Signe particulier : passionnée par son métier comme au premier jour.
Quand Pascal Sangla lui a demandé un endroit où l’on n’a pas l’habitude de voir du théâtre à Poitiers, spontanément, elle a évoqué… la patinoire ! « J’ai le souvenir d’y être venue avec l’école pour prendre des cours de patins, sourit Julie Sicard. A l’époque, la piste était blanche et bleue et elle sentait très fort... » Il y a quelques jours, la Poitevine était de retour dans sa ville natale, à l’occasion de ce Pas de côté imaginé par le musicien et artiste associé au Méta (ex-Comédie Poitou-Charentes). Une proposition musicale et théâtrale insolite à laquelle le patineur Brian Joubert a été associé. Le thème ? Tomber, se relever. « C’est un défi pour tous les trois, on est à la même place du débutant, souligne la comédienne entre deux répétitions. Et sur la glace, tout peut arriver ! »
Vingt ans avec Le Malade imaginaire
Julie Sicard n’avait pas joué à Poitiers -où habite toujours son père- depuis près de vingt ans. C’était dans Léonce et Léna, une pièce de Jean-Pierre Berthomier, auprès duquel elle s’est initiée au théâtre à l’âge de 11 ans. « Mes parents étaient abonnés au théâtre, je suis allée voir beaucoup de pièces avec eux, se souvient-elle. J’aimais voir les comédiens après les représentations et fantasmer sur leur vie. J’étais un peu midinette. » Alors, quoi de mieux que de devenir soi-même comédienne professionnelle pour se plonger dans cet univers ? C’est ainsi que la jeune fille monte à Paris, en 1995, passer le concours du Conservatoire national d’art dramatique. Avec succès. « Le scénario dans lequel je n’y arrivais pas n’a jamais existé, ne m’a jamais effleurée. J’étais plutôt bonne élève. »
En 2000, l’intermittente auditionne pour jouer dans Le Malade imaginaire qui se donne alors à la Comédie française, sur les conseils de Catherine Hiegel, sa prof du conservatoire. Elle décroche finalement le rôle d’Angélique. On lui propose d’entrer au Français, à l’issue de la tournée. « Mais ce n’était pas du tout mon rêve. J’ai accepté parce que l’administrateur de l’époque (Marcel Bozonnet) était aussi le directeur du Conservatoire. Je savais que c’était quelqu’un avec du goût. » En 2022, alors que l’on fête le 400e anniversaire de la naissance de Molière, la 518e sociétaire joue toujours Le Malade imaginaire à la Comédie Française, dans le costume de Toinette avec une distribution renouvelée. Celle qui habite rue Molière à Paris -« un pur hasard ! »- en est à plus de cinq cents représentations du spectacle mis en scène par Claude Stratz. Un modèle d’endurance. « On joue tous les jours, on travaille beaucoup, alors le temps file très vite. Plus de vingt ans dans le même spectacle, c’est dingue et quelque chose d’assez vertigineux… Je me sens chanceuse, car beaucoup aspirent à faire ce métier. »
Au quotidien, la Poitevine vit, mange, boit théâtre. Comme elle l’a longtemps rêvé. « Même après un spectacle, au restaurant, on débriefe comment on a joué, comment était la lumière… Ça n’arrête pas. Mais j’aime qu’un truc me prenne, comme ça, tout mon temps de cerveau. » Les planches ne laissent que peu de place pour autre chose. Le cinéma ? Seulement comme spectatrice. « Ça ne me manque pas. Un spectacle sera toujours différent d’un soir à l’autre, tandis qu’au cinéma il y a quelque chose de définitif que je trouve assez frustrant. »
Entre Poitevins au Français
D’un naturel volontiers « discret », elle épate ses pairs depuis des années. Son incarnation de Toinette est « un tube » du Français. « Je l’observais en coulisses pour sa grande scène du poumon, où elle se déguise en médecin et fait enrager Argan, confie Benjamin Lavernhe, qui a joué le rôle de Cléante entre 2012 et 2014. Je riais absolument à chaque fois, c’était un bonheur. » C’est aujourd’hui Yoann Gasiorowski -un autre Poitevin !- qui incarne Cléante aux côtés de Julie. « J’ai découvert une partenaire extraordinaire en plus d’une comédienne inventive, toujours extrêmement juste et précise, et dotée d’un vis comica très rare dans la troupe. » Au-delà du plaisir du jeu, les comédiens partagent une origine commune, qui les a rapprochés d’emblée. « On est la plus grosse communauté après les Belges ! », s’amuse le dernier arrivé dans l’institution en 2018. « Nous avons vite évoqué notre ville de cœur et de naissance. La première fois que j’ai salué à la Comédie, elle était là », se souvient Benjamin Lavernhe. « Ils étaient verts, jaloux que je fasse un truc avec Brian, glisse celle qui se nomme « misspoitou » sur Instagram. On est fiers d’être Poitevins ! » Ne leur manque que d’avoir joué au Tap avec la Comédie française. « J’adorerais. »
A 45 ans, Julie Sicard a déjà vu se succéder plusieurs générations d’artistes au Français. « C’est l’endroit le plus parfait pour faire ce métier. On travaille avec des metteurs en scène très différents, tous très intéressants, il y a une mixité des profils… C’est un luxe total en ce moment ! La Comédie française est un très bon théâtre et je trouve qu’il va en se bonifiant. » Il lui arrive pourtant de songer à le quitter « environ une fois tous les deux ans, comme un truc hygiénique ». La dernière fois, c’était lors des confinements, un rude moment pour le métier. Mais la maman de trois enfants -âgés de 6 à 17 ans- est à chaque fois rattrapée par la vitalité de cette troupe, où elle compte de nombreux amis. Une deuxième famille. « On est très proches de ceux avec lesquels on travaille, c’est très doux et bienveillant. Après tout, ce sont les gens qu’on voit le plus dans notre vie. »
DR - Stéphane LavouéÀ lire aussi ...