Hier
Julien Mandois. 33 ans. Chauvinois d’origine installé à Civaux. A passé la première partie de sa vie à l’hôpital à essayer de survivre, veut passer la suivante à réaliser ses rêves de moto, de rencontres avec les enfants malades, de vie à deux…
« J’avais deux rêves, être sapeur-pompier et participer à des compétitions de moto. » Faire le deuil du premier n’a pas été simple. Alors aujourd’hui, à 33 ans, Julien Mandois s’accroche au second, de préférence sur des circuits de montagne. Ils sont parmi les plus dangereux, et alors ? La médecine a déjà trop souvent condamné le jeune Chauvinois pour lui faire craindre la Faucheuse. Il en a fait sa compagne de route. Elle n’est jamais très loin, sur son casque de moto, sur son blouson, sur la toile accrochée au mur de son couloir. Elle le menace, lui avance, profitant des rares répits que lui octroie la vie depuis l’enfance. Une tumeur bénigne dans son lobe temporal gauche a transformé ses jeunes années en un puits de souffrance et effacé la plupart de ses souvenirs. Les rares qui lui reviennent sont douloureux. « A l’école, j’étais le vilain petit canard, je subissais des moqueries, lâche le cadet et seul garçon d’une fratrie de trois enfants. Je faisais de l’épilepsie partielle, des crises de tétanie, des absences à répétition pendant les cours. On me disait tête en l’air mais il n’y avait pas que ça… » Céphalées, perte de sensation dans les jambes… Les symptômes n’ont fait qu’empirer avec les années mais l’opération était « trop risquée ». Finalement, le Pr Sainte-Rose, chef du service neurochirurgie pédiatrique de l’hôpital Necker-Enfants malades à Paris, a relevé le défi. Julien avait 13-14 ans. « Au réveil, après quarante-huit heures de coma artificiel, j’avais perdu l’usage de mes jambes, un quart de vue sur chaque œil et une grande partie de mes souvenirs avaient disparu… J’ai réappris à marcher en trois jours ! » De toute façon, « ce n’était pas une question ! ».
« Trois mois à vivre »
L’adolescence passe, Julien goûte à la moto sur « une 50cc piaillée à [ses] parents ». A 18 ans, il décroche le permis, dégote une 600cc, puis enchaîne « pas mal de bécanes ». Côté études, Il est orienté vers un lycée professionnel mais ses problèmes de mémoire continuent de lui jouer des tours. Il entre rapidement dans la vie active, enchaîne les petits boulots, est victime d’un accident du travail qui le confronte à un employeur peu scrupuleux, rebondit comme vendeur dans un magasin de bricolage, s’engage avec acharnement dans un CAP électricité et l’obtient. Enfin ! « C’est mon premier diplôme, il y a quatre ans. » L’entreprise dans laquelle il effectue son stage vient tout juste de lui proposer un poste quand, le lendemain, peu avant Noël 2017, une consultation chez l’ORL douche ses projets d’avenir. Le diagnostic tombe : cholestéatome à l’oreille droite. « Le médecin m’a dit qu’il me restait grand maximum trois mois à vivre. Je n’ai rien dit à ma famille. » L’intervention est délicate. Julien est opéré en mars 2018. « Quand je suis parti à l’hôpital, j’ai laissé trois ou quatre pages testamentaires… » Au final, la tumeur part mais la douleur reste, et avec elles des boîtes de morphine, codéïne, gabapentine… Et un moral en berne.
« A 30 ans, on a envie de rencontrer quelqu’un… », glisse Julien avec sincérité. Difficile de s’entendre dire « t’es un mec génial mais… », et de percevoir le rictus de la Faucheuse sous les pointillés. Heureusement, il a ses proches, un super colocataire, Wil, Moumine une minette fracassée comme lui par la vie, et sa passion pour la moto. « J’ai fait mon premier roulage sur le Circuit du Val de Vienne un an après l’opération. » Coup de foudre, montée d’adrénaline… Julien s’inscrit dans la foulée à une première manche du championnat de France de la montagne, puis à une deuxième. L’année suivante, il prend sa licence. « Passer à côté d’un mur à 200km/h, c’est grisant. On se sent vivant ! »
Début 2020, la tumeur de l’oreille interne revient. Il est opéré le 4 février. Dès juin, il est de retour sur le circuit du Vigeant… High side. Sa moto s’envole, la chute pulvérise sa vertèbre T12. « Vous ne remarcherez pas », prévient le médecin. « Ce n’est pas grave, on mettra des commandes au guidon », rétorque avec humour et dérision le malade. Une péricardite plus tard, il est de nouveau sur sa moto et s’inscrit au championnat de France de montagne dans la catégorie des 600cc. « J’ai terminé 20e, avec 14 points », annonce le pilote qui nourrit le doux rêve d’une participation au légendaire Tourist Trophy, sur l’île de Man.
A la rencontre des enfants malades
Aujourd’hui, à l’aube d’un premier CDI, Julien s’est laissé gagner par un autre rêve dont il parle avec émotion : aller à la rencontre des enfants malades. « C’est aussi une psychothérapie pour moi, pour me dire que tout ce que j’ai vécu sert à quelque chose », avoue avec franchise le parrain de l’association « Mon bobo et moi », qui a rendez-vous sur le Bassin d’Arcachon le 26 mars prochain.
Souriant, aimant « faire la tambouille » pour les autres, curieux de sport et d’art, Julien confie pourtant n’avoir « jamais été épanoui ». Sa souffrance n’est pas seulement physique. « J’y pense tous les jours mais le combat est fini pour le moment. Je suis dans une démarche de reconstruction psychologique. Je joue mes cartes pour avancer. » En cas de grosse chute de moral, le « romantique dans l’âme » assumé tire de sa guitare « des chansons d’amour ». Une façon parmi d’autres d’apprivoiser ses traumatismes.
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