Philo et danse 
sans gluten

Florence Salvetti. 36 ans. Philosophe et danseuse. A raconté dans un livre son errance médicale face aux symptômes capricieux de la maladie coeliaque. Aime avoir le temps d’approfondir les choses, veux faire bien et, surtout, ne plus remettre au lendemain.

Claire Brugier

Le7.info

La première fois, Florence Salvetti l’avoue sans détour, elle a été « très contrariée d’être là ». Etre envoyée en stage de Capes à Poitiers alors qu’elle avait passé ses trente premières années en Ile-de-France, qu’elle se pensait « Parisienne convaincue » ? A n’en pas douter, l’Education nationale lui avait joué un mauvais tour ! Six ans plus tard, après deux tristes expériences dans un lycée d’Enghien-les-Bains (Val-d’Oise) puis dans un établissement tourangeau à l’environnement guère plus amène, la professeure de philosophie au lycée Victor-Hugo se sent « une dette envers Poitiers ». « Je ne savais pas quelle chance j’avais, même si j’y avais rencontré mon compagnon. A Enghien, j’ai vécu un enfer total, avec des élèves qui mettaient le feu sous leur bureau, qui jetaient des poulets crus dans la classe… C’était surréaliste. » De retour à Poitiers depuis deux ans, à sa demande, la jeune femme de 36 ans revit. « Il n’y a que les imbéciles qui ne changent pas d’avis ! », lance-t-elle avec malice. Florence a enfin retrouvé le sourire.

Si encore elle n’avait connu que des déboires professionnels… Mais ces dernières années ont été celles d’une douloureuse errance médicale qu’elle a choisie de raconter dans Clinique et philosophie d’une maladie sans nom - Une année sans printemps, publié chez L’Harmattan fin juillet. Elle y partage une expérience qui n’a malheureusement rien d’exceptionnelle, elle le sait. Fidèle à sa nature 
-« j’aime réfléchir »-, elle aborde ce douloureux parcours en 
« clinicienne-philosophe » pour en faire, à mots choisis, un récit hybride, à la fois témoignage, essai et roman.

Une maladie sans nom

Clouée au lit pendant de longues journées, Florence s’est parfois vu mourir, sous le regard de sa mère, à qui elle dédie son livre comme un juste retour des choses. « J’ai d’abord eu des symptômes digestifs, des nausées en continu, une fatigue qui ne passait pas, je maigrissais… Comme je n’y arrivais plus, je me suis mise en arrêt. J’ai enchaîné les consultations médicales. On m’a diagnostiquée anorexique, enceinte… On m’a fait chercher des traumatismes dans mon enfance. On m’a aussi prescrit toutes sortes de traitements très chers, non remboursés, douteux. C’était aberrant. Et puis je n’avais pas le Covid, j’étais moins intéressante, je n’étais pas à la mode. » Lasse, Florence a cherché seule des réponses. Elle en a trouvé sur les réseaux sociaux, auprès de personnes souffrant de la maladie cœliaque et de Zita, une internaute d’Abou Dabi (Emirats arabes unis). Verdict : intolérance au gluten, et cætera. « J’ai établi une liste énorme d’aliments qui m’empoisonnaient depuis l’adolescence. Au début, cela m’a déstabilisée, moi qui avais toujours aimé cuisiner. Puis j’ai trouvé des alternatives. » 
Un livre naîtra peut-être de cette quête car, depuis ses petits poèmes d’enfant, Florence aime écrire, comme elle aime danser.

« L’écriture est à la vie de l’esprit ce que la danse est à la vie du corps », assène-t-elle. Dans son salon, une barre se reflète dans un grand miroir à moulures, premier échantillon de la salle de danse qu’elle aménagera un jour dans sa maison. Autour, le mobilier est volontairement « minimaliste ». « Peut-être parce que j’ai grandi dans de petits appartements, j’ai besoin d’espace, j’aime pouvoir circuler. Déjà, vers l’âge de 5 ans, je poussais les meubles, je mettais des vieux vinyles et je dansais sur les valses de Strauss, raconte la jeune femme. A l’origine, je voulais être prof de danse. Mais j’ai appris dans de mauvaises conditions et, si je dois faire un reproche à mes parents, c’est d’avoir un peu ignoré mon envie. Leur priorité allait aux études. »

« J’ai déjà laissé passer trop de temps »

Seule donc, en parallèle du bac, Florence a préparé l’Examen d’aptitude technique (EAT). « J’ai échoué. En désespoir de cause, je me suis tournée vers la philosophie. J’avais eu une prof géniale, cela me plaisait même si, au lycée, on fait tout et on ne fait rien, déplore-t-elle. A la fac, j’ai découvert un autre rythme, on prenait le temps de bien faire les choses. Je me suis passionnée pour certains auteurs et je me suis lancée dans une thèse, sur Kant. Mais qu’est-ce qu’on fait avec un bac+8 ? raille-t-elle. C’est là qu’ont commencé les ennuis. A défaut de pouvoir enseigner la danse, j’allais enseigner la philosophie. » 

Fin de l’histoire ? Non, déterminée, Florence n’entend pas rester « une danseuse contrariée » ad vitam æternam. « Mon père m’a toujours dit : tu as le temps, tu es jeune ! Mais j’ai déjà laissé passer trop de temps. » Derrière sa silhouette gracile se cache une volonté de fer, de faire bien aussi, exacerbée par ses souffrances récentes. 
« La maladie a un sens vital, elle vous accule : si tu ne changes pas, tu n’avances plus. J’ai fait le tri, revu beaucoup de mes représentations. Aujourd’hui je ressens une espèce d’urgence. » A court terme, la néo-Poitevine va retenter l’EAT, encouragée par un deuxième échec « de très peu » l’an dernier. En parallèle, avec la complicité d’un photographe et en lien avec la Maison de la Gibauderie, elle prépare une exposition.

Déçue par la médecine, consolée par la philosophie et apaisée par la danse classique -sa passion, sa bouée mais aussi son objet de frustration-, Florence s’abstient de regarder trop loin, préférant se faire à elle-même des promesses qu’elle va tenir. « De toute façon, pour concilier ma double personnalité, il faudra bien qu’un jour j’enseigne la philosophie et la danse ! »


 

À lire aussi ...