Marie Crochet. La soixantaine. Originaire de Champagne, habite Quinçay. Ancienne professeure d’EPS. Comédienne, chanteuse, humoriste, un peu de tout cela. Libérée, surtout, des poids du conformisme et d’une enfance dans un environnement de taiseux.
Neuf mois. Une naissance, ou plutôt une renaissance. En 2017, elle s’est enfermée pendant neuf mois à la maison pour accoucher de son spectacle au nom irrésistible : J’ai faim d’amour mais ça va être plus simple de me faire des pâtes.
Tout un programme, n’est-ce pas ? Derrière cette accroche surprenante, se cache en
réalité un show tantôt grinçant tantôt hilarant. A l’image de Marie Crochet, « inclassable » de son propre aveu. « Je ne suis pas dans la moule, c’est vrai », ajoute-t-elle entre deux idées qui se bousculent. Les notes de la Quincéenne, compilées sur trois pages en lettres capitales, évoquent tour à tour ses « émotions », son « ressenti », ses
« intuitions », sa « liberté comme carburant ». La sexagénaire n’aime pas parler d’elle, elle se prête pourtant de bonne grâce à l’exercice, consciente qu’il faut savoir donner de soi dans son nouvel univers.
Née avec un biberon
de champagne dans la bouche
Au fond, qu’est-ce qui pousse une fille de vignerons champenois taiseux à monter sur les planches cinquante ans plus tard, pour y défendre de surcroît une certaine conception du féminisme ? « Je suis timide mais je me soigne ! » A telle enseigne que son quasi seule-en-scène -accompagnée au piano par Félix Blanchard- a un petit frère, joué depuis cet été : J’ai faim d’bon sens mais ça va être plus simple d’aller m’faire cuire un œuf. Deux spectacles vivants, une seule ambition : se connecter au public, faire réfléchir les spectateurs et s’enrichir mutuellement. « Que les gens entendent des chansons telles qu’ils ne les ont jamais écoutées. Mon plus grand bonheur, c’est de les voir leurs yeux pétillants à la sortie. Le pari est gagné. » Quand on est né « avec un biberon de champagne dans la bouche », rien de vraiment étonnant ! D’Anne Sylvestre à Linda Lemay, de Juliette à Agnès Bihl, de Romain Didier à HK et les Saltimbanks, l’artiviste -c’est d’elle- met dans la lumière des auteurs invisibles aux textes profonds.
Sur son deuxième spectacle, sa fille Léna Croche (sic) l’accompagne au chant, tandis que Florence Grimal pianote sur son clavier. La « flamme libérée » a ainsi laissé place à la « rebelle pacifiste ». Elle vient de loin, de très loin même ! Marie Crochet a vécu une partie de sa vie à Reims, où elle a marné, trouvant son salut dans le sport. Le kayak d’abord, le hockey sous-marin ensuite. Laquelle activité l’a amenée à filmer les fonds marins. Plusieurs documentaires ont vu le jour, dont un a reçu le Grand Prix de l’émission d’Antenne 2 Les carnets de l’aventure. De l’audiovisuel à la radio, des clowns à la chanson, de la pratique à l’enseignement de l’éducation physique et sportive, la vie de Marie Crochet a emprunté des chemins tortueux. Jusqu’à sa découverte d’une formation de documentariste, près du Lycée pilote innovant, à Jaunay-Marigny, au milieu des années 80. Pendant ses deux ans de disponibilité de l’Education nationale, la mère de deux enfants a pu explorer de nouvelles voies.
« La vie est un cadeau »
Au fond, quel que soit le mode d’expression, la Poitevine d’adoption a constamment cherché à s’émanciper, à sortir des conventions. Sa grand-mère taiseuse, qui a connu la Seconde Guerre mondiale, ne s’était pas trompée. En dépit des épreuves, « la vie est un cadeau ». « Je suis encore sur le chemin, je n’ai pas fini loin de là ! Mais quand on arrive à un certain âge, on peut s’autoriser ce qu’on veut »,
glisse sa petite-fille. Des dizaines de représentations plus tard, la passeuse d’histoires n’en revient toujours pas de l’effet qu’elle produit. Bien sûr, elle ne remplira jamais un Zénith de 15 000 places. Ce n’est pas son but. Elle préfèrera toujours les sales intimistes aux palais des sports intimidants. Chez elle, la télé a tôt fait de passer par la fenêtre. Et les réseaux sociaux lui servent « à titre professionnel uniquement ». Vous avez dit anticonformiste ? Disons que pour Marie Crochet, le bonheur est dans l’ailleurs. Elle repartira au combat après une petite pause salvatrice. Patience.
DR Jour Et Nuit Daniel Margreth