Hier
Edouard Audouin. 44 ans. Poitevin de naissance et de cœur. A aimé le théâtre, a sombré par lui, ne l’a jamais vraiment quitté. Accroc à l’impro. Aujourd’hui à l’aube de sa deuxième vie.
17 août 2011. Un spectacle de rue. Le pistolet pointé sur la tempe d’Edouard Audouin est chargé à blanc. Dans le feu de l’impro, le comédien se saisit de l’arme, le canon glisse, le coup part. Huit points de suture tout de même mais la caboche a résisté. En apparence. Si, sur le front, la cicatrice a appris à se faire discrète, à l’intérieur, c’est le chaos. « Le 17 août 2011, c’est mon Pearl Harbour, mon 11 septembre… confie le Poitevin de 44 ans. Le jour où ma carrière aurait pu décoller, elle s’est effondrée. » Ce jour-là en effet sort le clip de Skrillex « First of the year » (plus de 450 millions de vues sur YouTube !) avec à l’écran… Edouard Audouin. Nommée aux Grammy Awards 2012, la vidéo fait le tour du monde tandis qu’à Poitiers son acteur principal sombre sous « les questions, le harcèlement, les mauvaises nuits, les cauchemars… » Une véritable descente aux enfers. Comme si cela ne suffisait pas, le diagnostic tombe : bipolaire. « Il faut faire avec », commente le quadra, fataliste. Sur le moment, il accuse le coup, les coups. Puis, après « deux ans à végéter », il se relance dans le spectacle vivant, cette passion née en seconde dans le costume du Marquis de Mascarille, des Précieuses ridicules de Molière. « Ça a été mon premier shoot de théâtre, j’y ai pris goût. »
Dans le monde des intermittents
Retour en arrière. En primaire, le petit garçon « plutôt solitaire » avait déjà choisi d’interpréter plutôt que réciter la fable « Le Chien et le Loup » de La Fontaine. En 4e, le collégien avait failli jouer dans La Leçon de Ionesco. En terminale, Feydeau a achevé ce que Molière avait initié. « Je me suis éclaté dans le rôle principal d’Un Fil à la patte. J’ai reçu des compliments que je ne comprenais pas… » Sans plus d’hésitation, le voilà inscrit en Arts du spectacle. Parallèlement, il fait ses premiers pas dans le milieu, au sein de La Clique d’Arsène, la compagnie fondée par Frédérique Antelme, « une grosse rencontre professionnelle ». Il découvre les matchs d’impro à la Maison des Trois-Quartiers. « C’est ce qui m’a fait le plus kiffer de toute ma vie », commente-t-il. Au point qu’il crée avec quelques autres la Lipa, la Ligue d’improvisation poitevine amateure. Il décroche ses « premiers cachets » et, à 25 ans, entre dans « le monde des intermittents ».
Jusqu’à 34 ans, il explore aussi le cinéma. Avec le collectif Les Films de la Lymphe, l’autodidacte enchaîne courts-métrages, clips, et même un long métrage, Sodium Babies. « Mais un collectif ça ne dure pas plus de dix ans, tranche-t-il. C’est comme une histoire d’amour, un, trois, dix... » Surtout, « je suis plus comédien qu’acteur ». Alors il se laisse rattraper par son premier béguin, le théâtre, au sein de la compagnie La Diva. Jusqu’au drame.
"Pourquoi moi ?"
17 août 2011 donc. Sa vie bascule puis, lentement, Edouard refait surface, renoue avec le théâtre, se met à courir les castings. « Cinéma, pub, télé… » Il fait « quelques petites apparitions », joue le directeur d’un centre de paint-ball dans la série Léo Mattei, en 2015. Est-ce le sentiment d’avoir passé son tour ? « En mars 2016, j’ai fait un burn-out », confie-t-il. A l’époque, il rembobine sans cesse le film de sa vie, il ressasse, s’interroge. « Pourquoi moi ? » Désormais il essaie de tenir son passé à distance. « Le théâtre, l’acting professionnel, c’est fini pour moi, assure-t-il. Ou alors pour le plaisir, sans pression. Ce n’est pas un deuil. J’ai mis mes souvenirs dans des cartons et je les ai fermés avec du chatterton. Ça fait presque trente ans que je traîne mes guêtres sous les projecteurs. Je n’ai ni femme, ni enfant, ni crédit, alors je veux tenter une nouvelle aventure, dans l’événementiel. » Sa marque, il l’a déjà : Poitoullywood, le nom sous lequel il aurait créé « une sorte de YouTube régional » sans un coup dur, un autre. Poitoullywood est finalement devenue une simple page Facebook, bien connue du microcosme cinématographique poitevin, de ceux qui ont fréquenté ou fréquentent encore le Cluricaume, « toute [sa] faune artistique ». Les projets naissent plus facilement autour d’un verre ou d’un café… Et puis « Poitiers est un petit village ».
« J’essaie d’arrêter mon cerveau »
Dans la tête de cet « artiste multimédia protéiforme », les idées s’enchaînent tellement vite que les mots se bousculent. Edouard parle vite, très vite. « J’en ai épuisé plus d’un comme ça », sourit-il. Lui-même un peu aussi. « J’essaie d’arrêter mon cerveau en faisant des mandalas. » Il s’y plonge sans mesure, comme dans les livres, les films, les séries ou la musique. « J’ai un côté compulsif, avoue-t-il. Mon père m’a souvent répété : sois curieux, ne reste pas sur tes acquis, fais comme Pic de la Mirandole. » Disparu en 2012, l’ancien pianiste de bar lui a aussi transmis le virus du jazz. Sur le mur, près de son bureau, la photo paternelle côtoie celles de son idole, Duke Ellington, Edward de son vrai prénom. Edouard en français…
« Croqueur de tout », le Poitevin s’est aussi essayé à la musique, qui résonne « en permanence » dans son appartement de Chasseneuil. A partir de 2004, le concert-conférence qu’il a créé avec Vincent Dacquet autour de l’univers de Boby Lapointe, Boby le papa des poissons, a tourné sur plus de deux cents dates. Mais c’est du passé. Aujourd’hui Edouard entre dans sa deuxième vie. « Je ne sais pas exactement ce que je veux, mais je sais ce que je ne veux plus, note-t-il. Je suis déjà passé par le Paradis, l’Enfer et le Purgatoire. »
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