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Didier Raquet, 56 ans. Picard de naissance, Poitevin d'adoption. Directeur de l'hôtel Ibis Futuroscope. Sensible depuis longtemps à la peinture, plus récemment aux danses urbaines. Croit aux rencontres, ne se laisse pas imposer ses choix.
« Je crois qu’il a eu la bonne accroche. C’était quelque chose comme : aidez un jeune à réaliser son rêve américain. » Intrigué par l’audace de Jordan Boury, Didier Raquet a abondé la cagnotte en ligne du jeune danseur afin de l’aider à financer son billet pour Los Angeles et le World Championship of performing Arts 2018. « Jusque-là ma connaissance de la danse, c’était plutôt Le Lac des Cygnes et Casse-Noisettes. Le hip-hop, ce n’était pas du tout mon univers », avoue le directeur de l’hôtel Ibis Futuroscope, du haut de ses 56 ans. Mais, par curiosité, peut-être par politesse aussi, il a pris des nouvelles de ce jeune homme de 18 ans déterminé à vivre sa passion à l’autre bout du monde « Et un jour je lui ai écrit : j’espère que je te verrai danser à Poitiers. » De ces phrases qu’on lance sans conséquence, presque comme une boutade. Et Jordan Boury a répondu « Oui, carrément ! ».
Ce qui n’était qu’un tic de langage a eu un effet imprévu. « J’ai pris ça comme un contrat », confie Didier Raquet. Le quinquagénaire s’est alors attelé à tenir une promesse qu’il était seul à avoir entendue. Il a plongé dans l’univers du jeune danseur prometteur, en aménageant dans son hôtel une vraie salle de danse, avec parquet, miroir géant et barre au mur, et en créant Efferv’&Sens, un festival où les chorégraphies urbaines tiennent toujours une place de choix. « Je suis un rêveur et je me suis aperçu qu’avec Jordan on rêvait tous les deux pareil », souligne-t-il, ému. Après trente ans de gestion hôtelière, Didier Raquet se réinvente donc en organisateur de festival. « Je n’ai pas de regrets mais j’aimerais juste avoir 20 ans aujourd’hui, pas pour recommencer ma vie mais pour être à ma place dans cet univers-là. »
« Je rentrais à Amiens, évidemment ! »
A 20 ans, lui, le jeune Amiénois fier de ses origines picardes, poursuivait un rêve de cuisine, révélé dès la 3e. Benjamin d’une fratrie de trois enfants, de père opticien et de mère monitrice d’auto-école -« couturière à la base »-, Didier Raquet est donc monté dans le Pas-de-Calais pour intégrer l’école hôtelière du Touquet. « Je rentrais à Amiens, évidemment ! » Pendant un an, le service militaire l’a propulsé loin de ses bases, au siège du commandement de l’Otan de Brunssum (Pays-Bas), « en tant que cuisinier au service du général Salvan, précise-t-il. J’étais tout seul, je ne dépendais d’aucun chef de cuisine. Selon la table et la saison, je proposais les menus. » Autant dire que lorsqu’il a dû essuyer des réponses négatives de grandes maisons, comme celles de Jacques Maximim au Negresco ou de Georges Blanc à Vonnas, le jeune cuisinier n’a pas douté : « Vous ne voulez pas de moi, je ne veux pas de vous !, a-t-il pensé. C’est dire la prétention ! », sourit-il aujourd’hui.
Selon la volonté de ses parents, il est donc retourné à ses chères études, a validé ses deux années de BTS hôtelier. Mais la conviction des débuts s’était délitée. « J’étais fasciné par mon prof de gestion, j’étais plutôt matheux ». A 24 ans, le jeune Raquet postule donc pour un job de directeur d’hôtel au Mont-Saint-Michel. « Je ne sais toujours pas comment j’ai pu être pris, je suis arrivé à l’entretien avec deux heures de retard… »
« La biodiversité me touche »
A cette époque, pendant son temps libre, le jeune homme explorait le musée d’Orsay. « J’aimais la peinture impressionniste, Monet, Manet, Caillebotte, des artistes moins connus comme Sisley… Ce qui ferait de moi un ringard aujourd’hui. Désormais, je vais moins à Orsay, plutôt à Beaubourg et à la Fondation Louis Vuitton. J’ai appris à aimer des choses que je n’aimais pas, comme les installations. A l’époque je m’étais même mis à peindre. Mon dernier tableau a été un embryon bleu… » Didier Raquet avait 28 ans, il était marié à Virginie qu’il avait connue sur les bancs de l’école hôtelière du Touquet, il dirigeait depuis peu l’Ibis Futuroscope (1992) et, engagement plus écrasant encore, il venait d’être papa du premier de ses trois fils, aujourd’hui âgés de 28, 26 et 24 ans. Plus question pour lui de bouger, même quand proposition lui a été faite, en 2014, de prendre la direction d’un hôtel plus grand. « Mieux vaut être petit chez soi que grand chez les autres. Je n’aime pas me faire imposer des choix. Surtout, je ne voulais pas déraciner mes enfants », lâche-t-il avec gravité. Ce sens de la responsabilité vis-à-vis de ses fils, et plus largement des générations futures, a subrepticement alimenté sa conscience écologique, sans doute en germe depuis une enfance passée « dans une ferme, en pleine campagne ».
« Je ne suis pas écolo politiquement, mais la biodiversité me touche, la forêt me touche ! » Après la tempête de 1999, Didier Raquet a initié au sein du groupe Accor le nettoyage du marais poitevin. Il n’empêche qu’il a été le premier surpris de se retrouver en 2019 devant l’ambassade du Brésil pour dénoncer la déforestation. L’homme a d’autres révoltes, plus ou moins visibles ou dites, dont le sort des migrants fait partie. D’autres aspirations aussi. Tandis que, depuis plusieurs mois, la salle de son bar est plongée dans le noir, que celle de son restaurant est désespérément vide, il imagine la suite, sans rien s’interdire. « Je m’aperçois que toutes les barrières sont celles que l’on se met. »
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