Aujourd'hui
Le Covid-19 semble avoir supplanté toutes les autres maladies. Les consultations médicales sont en forte baisse, traduisant un phénomène de renoncement aux soins qui pourrait avoir d’importantes répercutions sanitaires et économiques.
« Docteur, je sais que vous avez beaucoup de travail, je ne veux pas vous déranger. » L’enfer est pavé de bonnes intentions… La crainte d’encombrer les services médicaux doublée de la peur de la contagiosité a, ces dernières semaines, conduit de nombreux malades à renoncer à des soins. « Nous risquons de payer un après-Covid-19, met en garde le Pr Roger Gil, directeur de l’Espace de réflexion éthique Nouvelle-Aquitaine. La préoccupation née de la crise sanitaire a conduit à l’abandon des malades par eux-mêmes. »
Selon la Caisse primaire d’assurance maladie, au niveau national, les consultations chez les médecins généralistes ont affiché un recul de 40% durant les trois premières semaines du confinement, et ce malgré le développement des téléconsultations. La baisse était de 50% chez les spécialistes, avec des nuances toutefois : - 60% en cardiologie, - 80% en radiologie, -70% en gastro-entérologie, -33% en gériatrie… Dans ce contexte, la CPAM a envoyé mi-avril un courrier à ses patients en ALD (affection longue durée) ainsi qu’aux femmes enceintes. Spontanément, de nombreux professionnels ont également contacté leur patientèle.
La Vie la Santé du CHU de Poitiers a téléphoné à tous ses patients atteints de maladies chroniques (diabète, obésité, cancer...), « pour vérifier auprès d’eux s’ils ne présentaient pas de signes du Covid-19, évaluer leur niveau d’anxiété, leur niveau d’isolement social ainsi que leurs difficultés d’observance thérapeutique, explique le Dr Marion Albouy-Llaty, praticienne hospitalière et responsable de l’Unité transversale d’éducation thérapeutique (UTEP) à La Vie la Santé. Le bilan plaide nettement en faveur de l’éducation thérapeutique. « Face à une hausse de l’anxiété, comme ils avaient appris à gérer leur maladie, ils ont trouvé des ressources en eux pour s’adapter. »
Seul bémol : les patients suivis à La Vie la Santé ne représentent que 10% des malades chroniques. Sans oublier ceux que la fracture numérique isole. Chez les personnes en ALD, le nombre de consultations chez un généraliste a baissé de plus d’un tiers depuis le début de la crise. « Sur une pathologie chronique, ne plus suivre son traitement peut provoquer l’émergence de complications. C’est pourquoi, à La Vie la Santé, l’enjeu de demain est de développer des programmes alliant des offres en présentiel et en distanciel, la « blended éducation », avec en parallèle des ateliers numériques. »
« On a le droit d’avoir une urgence ressentie qui n’en est pas une »
Des pathologies comme l’infarctus ou l’accident vasculaire cérébral (AVC) n’échappent pas davantage au phénomène de renoncement. Le Pr Olivier Mimoz, chef du service des urgences au CHU de Poitiers, est aux premières loges pour en constater les effets. « Le nombre de passages aux urgences est passé de 140/jour avant la crise à environ 80-100 en moyenne aujourd’hui. » Et la baisse de la « bobologie » n’explique pas tout ! « Nous commençons à voir arriver des patients avec des pathologies qui traînent. Or, dès lors que la prise en charge est retardée, la situation clinique est détériorée, elle requiert des soins plus complexes, avec un risque plus grand et une durée d’hospitalisation plus importante. » Donc des impacts sanitaires et économiques accrus. « S’il y a un message à faire passer, c’est appeler !, assène le Pr Mimoz. On a le droit d’avoir une urgence ressentie qui n’en est pas une. » D’autant que le service de régulation (15), comme les urgences, ont renforcé leurs effectifs, avec le concours de la médecine de ville notamment.
« Cette crise nous montre à quel point la santé est l’affaire de tous, conclut Marion Albouy-Llaty. L’absence de maladie n’est que l’un des quatre piliers de la santé, avec les liens sociaux, la sécurité et les ressources personnelles. » La santé n’est-elle pas « un état de complet bien-être physique, mental et social », selon une définition de l’Organisation mondiale de la santé datant de… 1946 ?
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