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« Il y a eu un avant et il y aura un après Covid-19 »
Catégories : Santé, Covid-19, CHU Date : samedi 18 avril 2020Nous vivons une période inédite, confinés pour faire face à une menace invisible. Une crise sanitaire qui met nos émotions à rude épreuve. Pyschologue clinicienne à Poitiers, Magali Delamour analyse l'impact de l'épidémie sur nos vies et notre psychisme.
Magali Delamour, la période actuelle peut-elle constituer un danger pour notre psychisme ?
« Pour les personnes qui n'ont pas vécu de périodes traumatiques, récemment ou antérieurement, elle peut naturellement entraîner un sentiment de blocage et de peur de l'avenir, face à un danger invisible qui immobilise le monde entier en un seul et même mouvement. Elles vont être touchées de près ou de loin. Pour celles qui étaient, il y a peu, dans des épreuves de vie, cette situation peut leur donner le sentiment d'une double peine, d'une souffrance qui s'éternise. Ensuite, il y a quelque chose de particulier à ce danger tant sur le plan sanitaire qu'économique : il peut aller partout et quasiment en même temps. En effet, on voit qu'il se répand dans le monde entier, donnant une impression d'invasion et d'intrusion collective. Même à l'époque de la grippe espagnole, les gens n'avaient aucune vue sur ce qu'il se passait ailleurs. Il y a là un maintien possible et permanent de l'angoisse de mort, nourrie par l'actualité et la façon dont elle est diffusée, dans les médias et sur les réseaux sociaux. C'est-à-dire en continu et avec une dimension d'urgence réelle. Sans oublier le fait que le confinement nous a été imposé de manière radicale. Il me semble qu' il y a d'abord eu une forme de déni, dans ce que vivait la Chine et même l'Italie. On sentait le danger poindre mais on ne voulait pas trop y croire, d'autant que le discours social n'a pas été très alarmant juste avant le confinement. Tout fait violence finalement : le risque en termes de santé, la radicalité du confinement et la peur de l'avenir, y compris économique. On peut peut-être parler d'effraction psychique pour certains et cette tension extrême va prendre du temps à retomber, pouvant se traduire par des troubles du sommeil, des insomnies... Il faut du temps pour accepter cette réalité et retrouver des repères en tentant de s'adapter le mieux possible. Je crois que l'on est encore dans cette phase. »
La notion de confinement peut-elle être traumatisante ?
« Même si elles ne pouvaient déjà plus sortir comme avant, les personnes les plus âgées peuvent souffrir du manque de contact humain. Et se retrouver isolées. Pour celles qui ont vécu la guerre, cela peut réveiller des choses douloureuses et aussi des forces. Mais il y avait déjà beaucoup de solitude chez certaines. (...) Tout dépend si les personnes sont bien entourées, si elles sont précaires ou non... Reste qu'il est très important de se protéger. Plus globalement, je dirais que nous n'en sommes qu'à la troisième semaine et que la durée du confinement pourrait logiquement devenir plus difficile avec le temps. Pour le moment, les gens sont chez eux dans leur cocon, alors qu'on leur décrit un extérieur dangereux. A mon sens, la levée du confinement pourrait être encore plus anxiogène. Il pourrait y avoir à la fois un soulagement de ne plus être obligé de rester chez soi, mais aussi une hyper vigilance coûteuse psychiquement -durant sans doute plusieurs mois- associée à une peur de l'autre. A vrai dire, je ne suis pas sûre qu'il n' y ait que de la solidarité qui en ressorte... Car la peur peut également entraîner l'hostilité. Bref, je pense que tout cela laissera des traces sur le plan psychologique. On sent bien qu'il y a eu un avant et qu'il y aura un après. »
Les soignants sont en première ligne face à l'épidémie. Faut-il craindre, à terme, pour leur santé mentale ?
« En temps normal, il y a déjà d'importantes difficultés aux urgences, dans les tous les services hospitaliers et, dans une moindre mesure, parmi les libéraux. Entre le surmenage, toutes les formes de maltraitance qu'ils subissent, la culpabilité qu'ils nourrissent lorsqu'ils sont arrêtés... Ce genre de période ne peut qu'avoir des conséquences psychologiques très délétères, douloureuses sur le personnel. Le souci est que beaucoup de soignants étaient déjà à bout de souffle avant cette épreuve... Comment pourraient-ils aller bien ou mieux après ? Espérons au moins que de meilleurs moyens d'exercice leur seront attribués au sortir de la crise. »
Quelles sont les clés pour que nous puissions traverser au mieux cette épreuve ?
« Il s'agit d'essayer de se lier autrement, par la voie associative, par les réseaux sociaux... D'être actif, car le sentiment d'impuissance face à la crise est aujourd'hui très fort. De garder le contact avec ses proches aussi pour ne pas s'isoler. Il faut également en profiter pour faire une introspection, un petit bilan de sa vie, que cette période soit utile. Les bouddhistes nous diraient de nous recentrer sur le présent, d'être dans l'activité du quotidien, dans des pratiques méditatives comme le jardinage, où l'on ne pense à rien d'autre... Tout en étant au contact de la réalité de la crise. Pour les Orientaux, la sagesse consiste à nager avec le courant de la vie et non à essayer de lui résister. Ce moment nous oblige à réaliser qu'une puissance mondiale n'est rien face à une toute petite cellule. C'est une grande leçon d'humilité ! Elle doit permettre de se recentrer sur ce qui est bon pour soi, sur l'essentiel. A l'issue de cette crise, on peut espérer un peu moins d'excès, davantage de raison dans ce monde qui semblait aller toujours plus vite, où une tension globale n'était plus supportable. Il faut que l'on en tire quelque chose qui nous élève. Les épreuves nous font grandir. »
Trois infirmières volontaires du CH Laborit vont venir en aide à leurs collègues de l'établissement public de santé Ville-Evrard, en Saine-Saint-Denis. Les deux unités Covid-19 de cet hôpital spécialiste de la santé mentale sont pleines depuis le 6 avril et les équipes soignantes (infirmiers et aides-soignants) ne sont plus suffisantes pour assurer la continuité du dispositif dans les prochaines semaines. C'est pourquoi un appel à renfort a été lancé auprès d’hôpitaux psychiatriques de régions moins touchées par la pandémie. Le CH Laborit a été le premier à répondre, ses trois infirmières partent ce vendredi pour 15 jours. Rappelons aussi que localement, le CH Laborit a mis en place plusieurs dispositifs d'écoute médico-psychologique sur le territoire à destination de tous les habitants (dont un en langue des signes), pour les personnes exerçant dans un établissement de soins, un établissement médico-social ou social et pour les professionnels de santé. Plus d'informations sur le site de la Ville.
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