Hier
Petit journal d'une confinée pas toujours très fine. Jour 8.
Catégories : Société, Social, Solidarité Date : mardi 24 mars 2020Chaque jour, la rédaction donne carte blanche à une Poitevine confinée parmi les autres. Une quadragénaire en « quarantaine », dont la plume vous accompagnera au cours des prochaines semaines.
Retour sur hier soir. 20 heures. Pour la première fois, j’entends des bruits dehors : des applaudissements, des cris, mais aussi des klaxons de voiture… Ce qui ne me rassure pas. Tout comme ce petit jardin où ma voisine innove aujourd’hui : elle n’est désormais plus seule à profiter du soleil en bikini, mais c’est carrément la « beach party » entre copines ! Et pour ne rien gâcher, nous pouvons tous profiter des choix musicaux des belles dénudées.
Médusée, je poursuis la tâche, qui désormais m’incombe plus qu’à l’accoutumée : mon ménage… ou plutôt la « javelisation » de tout ce qui a pu être en contact avec l’extérieur. La lumière d’une autre fenêtre me rappelle que je suis chanceuse. J'en ai trois et peux donc varier les vues dans la journée. Une autre image forte, contrastant avec la dernière et révélant tout le paradoxe de cette France du mois de mars 2020. Lentement, une femme poussant d’un bras un fauteuil roulant et traînant avec l’autre membre ce qui semble être une bouteille à oxygène. Le ciel bleu ne sert pas que les inconscients aujourd’hui.
Ce matin, c’était aussi un grand moment pour moi. Après un confinement total, attestation en poche, je suis allée au « drive » pour récupérer mes courses. Du stress, pas mal de stress même pour cette « première fois » et pas moins de trois changements de gants au passage. Entre les boutons d’interrupteur, la prise des sacs de denrées, les allers-retours dans le vide-ordures pour les emballages de suite jetés, j’ai un peu l’impression d’avoir fait un marathon. J’ai toujours plus ou moins été attentive aux microbes, notamment depuis que je me fais chaque jour une piqûre. Mais là, j’ai véritablement l’impression d’être devenue une championne en conseils prophylactiques !
Le « drive », c’est l’occasion de constater que la France se réinvente. On n’a plus à sortir de sa voiture, sinon pour ouvrir le coffre. La personne véhiculant vos denrées attend que vous soyez arrivé au volant, scanne votre carte à travers la vitre si cela est possible, avant de vous laisser refermer seul votre voiture. Je reste juste perplexe à ce moment-là : cette personne charge mes courses sans gants ni aucune protection, alors que moi j’ai ce qu’il faut, même si mon masque est périmé. Protection sans doute psychologique, mais qui me rassure.
Alors qu’il me tend le scanner pour notifier que j’ai bien récupéré mes victuailles, cela ne fonctionne pas. Je suis obligée de baisser la vitre… C’est presque un effort, j’ai honte. Depuis une semaine, et bien plus me concernant pour être vraiment honnête, je n’ai pas eu quelqu’un aussi près de moi. Je me sens mal à l’aise, je m’excuse. Il me dit gentiment que « ce n’est rien ». Je ne me sens pas bête, je suis bête. Je n’aime pas cette idée qu’il ait pu croire que je le prenais pour un pestiféré.
Je reprends la route, pleine de gratitude pour tous ceux-là : caissiers, transporteurs, producteurs, soignants… Quelle abnégation ! Venir travailler, « nous servir », alors que l’anxiété est aussi très présente chez beaucoup, cela m’émeut. Sachez bien qu’il n’y a pas que des irresponsables et que nous sommes énormément à comprendre vos sacrifices. Merci à chacun. Enfin, je suis au final contente car cette sortie, au-delà de recharger mes placards, m’a permis de « profiter du soleil » en vidant mes courses du coffre. Juste un petit peu, c’est vrai, mais suffisamment pour rêver au moment où je pourrai, moi aussi, remettre mon bikini !
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