mardi 24 décembre
Emmanuelle de Montgazon. 52 ans. Est née à Poitiers, s’est construite loin de la ville, l’a redécouverte pour Traversées. Passionnée d’art contemporain et plus encore par les artistes.
« Traversées a tout changé. Poitiers est redevenu un point de départ. » Emmanuelle de Montgazon marque un temps d’arrêt. Elle a prononcé ces mots sans emphase mais avec conviction. Elle est, avec Emma Lavigne, l’une des deux directrices artistiques du « rendez-vous avec l’art contemporain et le patrimoine » qu’est Traversées et auquel elle a apporté, presque malgré elle au début, son regard de Pictave de souche.
« Ces dernières années, j’étais revenue très régulièrement à Poitiers, pour rendre visite à mes parents. Mon père est décédé il y a deux ans, ma mère quelques année avant. Je connaissais le Tap et le Confort moderne, mais je n’avais pas fait plus d’efforts. Je revenais simplement dans le Poitiers de mon passé... »
Lorsqu’Emma Lavigne lui a téléphoné pour l’entraîner dans l’aventure de Traversées, peu après l’expérience partagée d’une Saison japonaise au centre Pompidou de Metz, elle n’a « même pas réfléchi ». Pourtant, une semaine auparavant, elle avait définitivement fermé la porte de la maison de famille. Vendue. « J’avais tourné la page. » Et clos, croyait-elle, le chapitre de Poitiers, les années collège à Henri-IV, le lycée dans un pensionnat à Tours, la fac à l’hôtel Fumé... « Contrairement à ma sœur aînée qui avait toujours dit qu’elle ferait médecine, et qui l’a fait, j’étais plus flottante. Mais le jour où j’ai commencé histoire de l’art, j’ai ressenti une passion infinie. »
« J’aime le mystère du moment créateur »
Emmanuelle de Montgazon évoque notamment le cours d’art moderne. Une simple option. « Je ne me souviens malheureusement pas du nom de la prof. Elle nous avait fait l’année entière sur Matisse, les sources de cet artiste, sa perception, son intuition, son quotidien aussi. Je crois que c’est ce qui m’a donné envie de continuer avec des artistes vivants, cela m’a fait comprendre le rapport du peintre au tableau. » Plus encore, « cela m’a raccrochée au quotidien avec ma mère. Elle peignait et, lorsqu’elle était dans son atelier, on avait du mal à l’en faire sortir. »
Avec un père absent toute la semaine, par ailleurs passionné de cinéma, et cette mère « fantasque », l’ambiance à la maison était « non conventionnelle », très artistique aussi. « Je crois que j’ai vraiment appris à lire dans les livres d’art. »
Son Deug en poche, Emmanuelle de Montgazon est montée à Paris. « C’était le moment pour moi de partir. Mais je me suis pris violemment Paris en pleine figure. Je ne connaissais personne, je travaillais à mi-temps, je n’avais pas les codes d’une cité aussi grande… Alors je me suis accrochée à mes études. » Jusqu’au jour où une amie, bien décidée à la sortir de ses livres, lui conseille de postuler au ministère des Affaires étrangères.
Elle entre ainsi à l’Association française d’action artistique, aujourd’hui l’Institut français. Pour un stage. « J’aidais les artistes à monter leur projet à l’étranger. Ma première rencontre avec un artiste vu dans un livre ? C’était Christian Boltanski, j’ai cru que j’allais m’évanouir ! » En parallèle, « la nuit », la jeune fille prépare un DEA sur « les avant-gardes du début du XXe siècle » car, confie-t-elle, « je ne suis que sur l’art contemporain. J’aime le mystère du moment créateur, au plus proche de l’artiste. Voir Sooja (ndlr, Kimsooja, artiste invitée de Traversées) poser ses œuvres dans la ville a été un moment très fort. »
« Le pire, c’est de ne pas avoir d’objectif. »
Devenue à 24 ans attachée culturelle, à la tête du tout nouveau département des bourses et résidences d’artiste à l’étranger, Emmanuelle de Montgazon a initié la Villa Médicis à l’étranger, la Villa Kujoyama à Kyoto, des échanges avec l’Office culturel canadien… « J’ai envoyé près de trois cents artistes à l’étranger, avec des projets qui concernaient autant les arts plastiques que la danse, le théâtre… Cela m’a ouvert des champs artistiques que je ne connaissais pas. Un métier, on en fait ce qu’on en veut, j’adorais faire passer des choses innovantes dans des cadres hyper-rigides. Plein de fois aussi, on est à côté de la plaque. » Aujourd’hui, à 52 ans, forte d’une renommée certaine dans le monde de l’art contemporain, elle mène ses propres projets tout en accompagnant la carrière de son mari, l’artiste japonais Ryoji Ikeda, et les préoccupations adolescentes de sa fille de 16 ans.
Voyageuse -elle a tour à tour habité Tokyo, New York-, « très indépendante » aussi, Emmanuelle de Montgazon n’avait pas prévu Poitiers. Elle n‘avait pas imaginé cette « familiarité avec des perceptions, des odeurs, des lumières que je pensais avoir oubliées ». Elle l’a désormais acceptée. « Sans forcément y habiter, je vais trouver le moyen de ne pas perdre ces attaches, assure-t-elle. Je vais trouver un chemin de traverse... Le pire, c’est de ne pas avoir d’objectif. »
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