mardi 24 décembre
Aminta Sene, 38 ans. Chanteuse de rue à la voix exceptionnelle. Artiste autodidacte. Communique sa joie de vivre aux passants, malgré les galères.
Vous l’avez sûrement déjà croisée près des Cordeliers, de l’ancien Printemps ou sur la place du marché des Couronneries. Avec Easy, son Jack Russel noir et blanc scotché à sa jambe, elle illumine les journées des Poitevins grâce à son sourire communicatif. Sa voix chaude et puissante de chanteuse soul interpelle les passants. « Je veux qu’on m’entende jusqu’au bout de la rue », assène-t-elle. Son nom, c’est Aminta Sene. Rien ne prédisposait cette femme de 38 ans à la musique. Et pourtant, d’aussi loin qu’elle s’en souvienne, cette artiste a toujours voulu chanter et jouer d’un instrument. Ou de plusieurs à vrai dire. « Dès que j’ai l’occasion d’en essayer un, je veux savoir comment il fonctionne ! »
Retour en arrière. Dans l’église de Fontaine-le-Comte, alors qu’elle est encore adolescente, Aminta Sene entend résonner l’orgue à double clavier. Un jour, en cachette, elle passe le cordon délimitant l’accès au public et se met à jouer dans l’édifice vidé de ses occupants. Peu à peu, cette touche-à-tout à l’oreille absolue saisit la marche à suivre et reproduit une mélodie religieuse qui tourne dans sa tête. L’ensemble n’est pas parfait, mais attire toutefois l’attention d’une professeure de l’école de musique de la commune. Elle accepte de lui donner des cours, malgré les réticences de sa mère aux revenus modestes, qui refuse de payer pour une telle passion. « J’appelle cela le point d’orgue de ma vie ! C’est là que tout a commencé. »
« Une femme qui s’assume »
Au collège Renaudot de Saint-Benoît, des enseignants convaincus de ses dons lui écrivent une lettre de recommandation pour intégrer la classe musique du lycée Victor-Hugo. Alors qu’elle ne connaît pas le solfège et qu’elle n’a pas fréquenté le conservatoire. Sur la guitare d’une amie, Aminta passe plusieurs nuits à reprendre Tracy Chapman, son modèle. « Noire et lesbienne dans le sud de l’Amérique... C’est une femme qui s’assume. » Ses efforts paient. Dans la cour du lycée, tout le monde reconnaît sa voix. Le jour de son anniversaire, ses camarades lui offrent la guitare de ses rêves. « Celle que je voyais dans la vitrine de Thévenet quand je me promenais avec mon frère. » Les paroles de sa première chanson sont dédiées à un ami mort tragiquement à moto. Elle les chante pour ses funérailles.
A la maison, les relations se tendent considérablement avec sa mère, qui finit par la chasser avec cette phrase traumatisante : « Tu ne me gâcheras pas la vie éternellement. » A partir de là, son histoire est faite de rendez-vous manqués. C’est la spirale infernale entre drogue et alcool. Pourtant, côté musique, elle collabore avec deux professeurs du conservatoire rencontrés un soir de bœuf, en 1998, au Pince Oreille. Problème : appelée pour enregistrer un album, elle ne se présente pas. Overdose. Elle ne donne plus de nouvelles. La honte l’étreint.
La musique, c’est fini... Enfin, pas pour longtemps. Elle cherche un « vrai métier ». Ce sera la restauration. Sauf que sa réputation la précède. Le patron lui demande de jouer après le service. Sans forcément la payer plus. « J’ai du mal à réclamer ce qu’on me doit. Et puis, emmener les gens en voyage sur mes textes, leur faire plaisir, c’est déjà génial. » Sa générosité n’a pas de limite. Elle se produit dans des bars et commence aussi dans la rue. Les passants donnent ce qu’ils veulent.
En haut de l’affiche
En 2005, Aminta choisit de tenter sa chance à Paris, où sa mère s’est installée « sans son mec », mais avec son petit frère qu’elle adore. Pendant de longues semaines de galère, elle joue dans le Marais et dans le métro, sans autorisation. « Je ne savais même pas qu’il en fallait une, j’ai eu de la chance. Et puis certains gars me laissaient leur place le temps d’une pause. » Deux d’entre eux s’invitent dans sa vie. L’entente est parfaite. Une nouvelle aventure commence. Un soir, pour fêter l’anniversaire de son frère, ils se rendent ensemble à l’Alimentation générale dans le 11e arrondissement. Sa voix interpelle des musiciens venus boire un verre. Ils font partie d’un groupe en pleine gloire dans les années 2000. On taira son nom par charité vu les événements qui vont suivre. Aminta et ses camarades de jeu font sa première partie pendant plu- sieurs mois. Le manager lui promet un disque. Mais il se moque d’elle. Seul son groupe à succès compte. Tout s’arrête en 2007. Du jour au lendemain. Encore une fois. « J’avais honte devant mes musiciens. Je suis revenue à Poitiers. » La spirale tourne à nouveau dans le mauvais sens. La jeune femme demande à être hospitalisée pour soigner sa dépression. Aucune corde ne vibre plus pendant huit ans. Trop sensible.
La voyant dépérir, sa famille lui offre un chien (Easy), qui devient sa raison de vivre. Elle enchaîne les petits boulots et n’a plus goût à rien. Mais la musique a le pouvoir de réveiller les sens. Un beau jour de 2015, dans le train, Les Floetry chantent dans son casque. Spontanément, Aminta fredonne, puis se libère des pieds à la tête. « Je ne pensais pas que c’était encore en moi ! » Les galères (financières entre autres) ne s’arrêtent pas pour autant, mais elle retrouve sa joie de vivre qu’elle communique tous les jours dans la rue. Comme si c’était finalement sa destinée. « Pendant que je chante, je ne peux pas mourir. » Hébergée en centre de réinsertion sociale à Poitiers, cette artiste rêve désormais de s’installer avec sa compagne. Loin des soucis des autres résidents qu’elle absorbe comme une éponge. Ses colères, elle les traduit en chansons, comme lui a conseillé son frère. Alors si vous la croisez en ville, faites-lui un signe, un sourire... Toutes vos marques d’affection constituent son carburant le plus précieux.
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