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Damien Mignot-Roda. 36 ans. Né sourd, joueur de l’équipe de France de volley sourd depuis 2008. Il y a découvert la langue des signes avant d’en perfectionner la pratique par le théâtre. Avec sa femme entendante, il projette de créer un lieu culturel à Latillé.
Forcément, il y a de la déception. Malgré un groupe renforcé par l’arrivée de « jeunes joueurs de bon niveau », Damien Mignot-Roda et l’équipe de France de volley sourd n’ont pu faire mieux qu’une 6e place, sur huit équipes, lors du dernier championnat d’Europe qui s’est déroulé le mois dernier à Bologne, en Italie. « En face, il y avait beaucoup de professionnels. Leur niveau était bien supérieur au nôtre », observe le réceptionneur de bientôt 37 ans, dont c’était le 3e Euro.
Le natif de Poitiers est un membre important des Bleus, l’un des plus anciens du groupe. Il y est entré au culot, en 2008. « J’étais tombé sur un article de presse qui annonçait la tenue d’un stage de l’équipe de France de volley sourd à Poitiers. J’entraînais et je jouais à l’époque. J’ai trouvé le contact de l’entraîneur qui habitait Poitiers. Il m’a demandé de lui montrer mon audiogramme puis m’a invité à participer à un entraînement. Comme j’avais un bon niveau, je suis entré dans l’équipe. »
Là, Damien découvre la langue des signes. Sourd de naissance, diagnostiqué à l’âge de 2 ans, il avait jusqu’alors toujours vécu au contact des entendants, en usant de l’oralisme. Comme sa sœur cadette, sourde elle aussi. « J’allais régulièrement chez l’orthophoniste jusqu’à mes 15 ans. J’ai bien avancé dans mon parcours scolaire, toujours assis au premier rang pour lire sur les lèvres de mes professeurs. A la fin de la journée, j’étais souvent très fatigué. » A cet égard, le sport a constitué « une aide précieuse », une forme d’exutoire. Le judo d’abord, puis le basket et le volley. A l’adolescence, il est déjà engagé dans des associations sportives et d’informatique, son autre passion. « J’ai toujours eu besoin d’agir. » Et de communiquer.
« Il a eu du courage »
Au sein de l’équipe de France, Damien se retrouve confronté à son propre handicap. A la difficulté d’échanger avec staff et partenaires, dans une langue qu’il ne connaît pas. « Au début, c’était très compliqué, je me suis questionné sur mon identité. » Il commence alors à apprendre la langue des signes, à 26 ans. Puis fait la découverte d’Exabul Théâtre, une compagnie basée à Buxerolles, ouverte à tous et notamment aux personnes sourdes. De nature timide, il y entre sur la pointe des pieds en 2010.
Comédienne entendante, pratiquant la langue des signes depuis 2009, Faustine Roda le remarque. « Je sentais que sa place n’était pas claire, qu’il n’était pas à l’aise. Mais aussi, qu’il avait besoin d’être là. Il a eu du courage. Au fil des stages d’identité sourde, il a progressivement trouvé la confiance. » Damien confirme : « Petit à petit, j’ai compris que c’était ma langue. » Dans le même temps, il développe une sensibilité artistique, lui qui se rêvait pompier. Un nouveau terrain d’expression. « Jouer m’a donné des envies de théâtre. » Il décide alors de quitter son poste de technicien informatique et administrateur réseau au lycée Isaac de l’Etoile pour devenir intermittent du spectacle.
Entre-temps, l’amour s’en est mêlé. De professeur à élève, la relation de Faustine et Damien est devenue au bout de quelques semaines celle d’un couple. « Il y avait de l’humour, beaucoup de second degré. Et un désir commun d’aventure humaine, de communication », témoigne Faustine, les gestes et le regard tournés vers son compagnon. Ensemble, ils ont créé Confitures et Cie, à l’occasion d’un premier spectacle bilingue en français et en langue des signes.
Un nouveau lieu culturel
En parallèle, Damien a collaboré avec des compagnies à Limoges, Nice, Paris… Et en 2012, il a contribué à créer l’Association des sourds de Poitiers (ASP). « A l’époque, il existait beaucoup d’associations isolées, nous avons préféré nous réunir. » Aujourd’hui, il dit vouloir un peu « ralentir » et se recentrer. Il aimerait aussi lever le pied sur le sport, dont il se dit pourtant « drogué ». Déjà, il ne jouera plus au Stade poitevin volley beach la saison prochaine. Pour l’équipe de France, rien n’est acté. « Avec les championnats du monde en 2020 et les Deaflympics (*) en 2021, les entraîneurs essaient de me convaincre d’aller jusque-là, sourit-il, un peu gêné. Nous avons un lien très fort. »
Aujourd’hui, Damien nourrit un autre projet qui lui tient davantage à cœur : la création d’un lieu culturel (« L’autre côté du miroir »), à Latillé, à la lisière des Deux-Sèvres, où Faustine et lui viennent de s’installer avec leurs deux enfants. Comme un retour aux sources pour lui qui a grandi à Sèvres-Anxaumont. « Poitiers est plus confortable, mais c’était difficile de trouver un lieu avec de telles dimensions. Et puis, il y a certaines choses que nous ne regretterons pas, comme les bouchons avant de déposer les enfants à l’école ! » Le couple entend y faire se rencontrer les artistes et tous les publics. « Pour des résidences, une petite programmation, pourquoi pas un festival… Nous avons plein d’idées pour réunir les gens. » Et continuer à rendre visible la langue des signes, une langue comme les autres.
(*) Appelés aussi jeux Olympiques des sourds.
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