Facebook, Marie et la fabrique de l’opinion 

Journaliste pigiste pour France Bleu Poitou, Marie Dorcet s’est prêtée pendant trois mois à une expérience grandeur nature sur Facebook, à l’initiative de Spicee. Ou comment la plateforme enferme progressivement ses utilisateurs dans une bulle de pensée et fabrique l’opinion.

Arnault Varanne

Le7.info

En France, plus de 27 millions de personnes seraient régulièrement actives sur Facebook. Marie Dorcet a ouvert un compte en 2009, mais elle reconnaît être davantage « observatrice »qu’actrice. « Je partage et je like très peu de contenus »,indique la jeune femme de 25 ans. Entre fin février et fin mai, cette future ex-étudiante de l’école de journalisme de Sciences Po a pourtant fait une entorse à sa propre ligne de conduite. Au côté de cinq de ses camarades de promo, Mathilde Blayo, Octavie Maurel, Marius Gatoux, Léopold Audebert et Jack Knych, et à la demande du journaliste et réalisateur Thomas Huchon, elle s’est glissée dans la peau de Marie Martin. Une fan du Stade toulousain et sympathisante La France Insoumise. Les autres ont également créé de faux profils marqués politiquement : divers gauche, Les Républicains, Rassemblement national, Gilets jaunes, La République en Marche.

218 demandes d’amis en 24 heures

« Au début de l’expérimentation, je me suis posé la question de savoir comment trouver des amis puisque personne ne me connaissait. A partir du moment où j’ai mis le sticker LFI, j’ai eu dix demandes par jour, des messages sur Messenger… Octavie, elle, a eu 218 demandes d’un coup après avoir ajouté le filtre Gilets jaunes à sa photo ! » Dans l’excellent documentaire en trois parties à voir sur spicee.com, le spectateur constate au fil des semaines le formatage progressif des six profils d’étudiants. Suggestion d’adhésion à de nouveaux groupes, infos très orientées… Les algorithmes de Facebook sont à l’œuvre dans le processus. Jusqu’à un premier point d’orgue, avant les élections européennes du 26 mai : l’incendie de Notre-Dame, le 15 avril. A chaque profil sa version de l’événement : attentat des musulmans pour les uns (Rassemblement national), complot du gouvernement pour les autres (Gilets jaunes), etc.

« Sur Facebook, vous voyez ce que vous croyez »

L’impression d’enfermement vécue par Marie Dorcet et ses acolytes s’est vérifiée à la lumière d’une étude réalisée par le collectif Zeitgeist. Sur 2 000 publications, récoltées et triées par les étudiants, la data-analyse a permis de montrer que seuls 80 posts avaient été vus par quatre profils au maximum. Autrement dit, le miroir de l’actualité à la sauce Facebook reflète des réalités totalement différentes.« Au fond, on savait déjà que Facebook nous enfermait dans dans nos opinions, admet Marie. Nous n’avons rien révélé d’extraordinaire sauf que c’est la première fois que c’est mis en évidence de cette manière. » Dans le documentaire de Spicee, le doyen de Sciences Po Bruno Patino indique à juste titre que « sur Facebook nous voyons ce que nous croyons ». Sachant que le réseau social constitue aujourd’hui la principale source d’information pour une partie des Français, il y a de quoi s’inquiéter. Le débat démocratique s’efface au profit d’opinions de plus en plus marquées. « J’espère que les gens qui auront vu le documentaire s’interrogeront », conclut Marie Dorcet. 

La nouvelle fabrique de l’opinion, épisodes 1, 2 et 3 à voir sur spicee.com

Capture d'écran DR Spicee

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