Emmanuel Poilane, 50 ans. Directeur de l’ONG poitevine Initiative Développement. A effectué des missions humanitaires pendant vingt ans en Afrique, avant de diriger l’association France Libertés de Danielle Mitterrand. Son obsession : la solidarité et l’accès de tous aux droits élémentaires.
Il a l’habitude des interviews. Son poste de directeur général de France Libertés l’a régulièrement exposé à la lumière. Emmanuel Poilane a occupé cette fonction pendant neuf ans, dont trois aux côtés de la fondatrice de l’association, Danielle Mitterrand. L’occasion de développer un réseau politique et associatif important et de prendre la parole dans les médias. Toujours pour défendre la cause des plus précaires. Son dernier fait d’armes est cette victoire en justice contre Véolia. En décembre 2018, le tribunal de grande instance de Paris a relaxé Emmanuel Poilane des accusations de diffamation portées à son encontre par la multinationale. Très impliquée dans la lutte pour le droit à l’eau dans l’Hexagone, France Libertés avait fait condamner le distributeur à plusieurs reprises pour des coupures et des restrictions depuis 2014. Son directeur s’était exprimé dans ce sens sur l’antenne de RTL. « Aujourd’hui, la justice et les médias sont souvent les seuls moyens pour les associations d’expliquer qu’une loi est mal appliquée », commente Emmanuel Poilane. Qui ajoute : « Je n’ai jamais eu peur car j’ai toujours eu l’impression de le faire pour de bonnes raisons. »
« Petit coup de pouce »
A l’époque, son combat se focalisait sur l’accès à l’eau potable des populations les plus précaires. Grâce à l’action de la fondation, « ce sont plus de 100 000 familles par an qui ont retrouvé le droit de vivre dignement ». Autant de « gens qui travaillent mais ne s’en sortent pas ». Une injustice qu’on retrouve, selon lui, dans le mouvement des Gilets jaunes. Il se souvient de cette femme, mère de famille, qu’il a rencontrée pour récupérer tous les documents nécessaires afin de faire valoir ses droits. « Elle m’a dit : « Je vous les donne mais je sais que vous ne pourrez rien pour moi. » Elle était résignée. On a gagné devant le tribunal et on lui a redonné confiance. Il est possible de faire respecter ses droits en France. » Si Emmanuel Poilane a désormais changé de fonction, difficile de passer outre cet épisode de sa vie. Pendant toute sa carrière, il s’est attelé à donner « ce petit coup de pouce » censé aider les gens en difficulté à « se lancer ». Tout a commencé pendant son service militaire. Diplôme d’expert-comptable en poche, il part effectuer une mission humanitaire au Tchad avec France Volontaires. C’est la révélation.
A son retour en 1993, il travaille chez Orpea (maisons de retraite), mais sa tête est ailleurs. Deux ans plus tard, il intègre France Volontaires comme responsable administratif puis, très vite, comme « directeur pays » en Guinée, au Niger et à Madagascar. Vingt ans de riches expériences. « Nos équipes montaient des projets de riziculture, de pisciculture... On a aussi lancé des coopérations décentralisées avec plusieurs
villes de France. » Il en garde des souvenirs et des amitiés fidèles.
Un « colibri »
Son arrivée à la tête de l’ONG Initiative Développement, en août 2018, a marqué son retour vers un univers qu’il connaît bien. « ID est présent dans des pays compliqués où très peu d’ONG se battent pour aller. » L’équipe est composée de vingt permanents à Poitiers et de deux cents sur le terrain : Haïti, Comores, Tchad, Congo, Madagascar, Sénégal, Bénin et Togo à travers des relais locaux. L’association devrait prochainement se rapprocher de l’association bordelaise Projets solidaires pour travailler au Burkina Faso et au Mali. Nutrition, accès à l’eau et à l’assainissement, lutte contre le Sida, méthanisation, reforestation, efficacité énergétique, formation des enseignants et accès à l’école des plus vulnérables... ID mène des actions en s’appuyant sur une analyse fine des acteurs de terrain. « Le matin, je ne me pose pas la question de savoir pourquoi je me lève, souligne Emmanuel Poilane. Mon but est d’aider les populations les plus précaires à s’en sortir et à vivre dignement chez elles. »
En tant que président du Centre de recherche et d’information pour le développement (Crid), il est un interlocuteur incontournable du ministère des Affaires étrangères. C’est à ce titre qu’il est aussi amené à faire la promotion des ONG comme la sienne lors de rendez-vous tels que le Festival annuel des solidarités. Lui ne fait pas de politique au sens partisan du terme. Mais s’engage ponctuellement, en tant qu’acteur de la société civile, aux côtés de ceux qui défendent des causes. Signataire de l’appel pour un « Printemps climatique et social », il était dans les rues de Poitiers, le 16 mars dernier, à l’occasion de la Marche pour le climat. « Nous sommes dans un moment où de plus en plus de citoyens se disent que notre modèle économique ne tiendra pas. Chacun doit prendre ses responsabilités à son niveau pour transformer notre société. » En cela, il se fait le « colibri », cher à l’écologiste Pierre Rabhi.