Hier
Nicole Pellegrin, 74 ans. Historienne du genre et chercheuse au CNRS. Fervente défenseuse de l’université inter-âges. Féministe de la tête aux pieds.
« Je suis une vieille dame. J’ai 75 ans, enfin très bientôt... Bon anniversaire Nicole ! » La voix est assurée, le regard à la fois scrutateur et malicieux, le ton teinté d’une impertinence polie. Nicole Pellegrin ne s’en laisse pas conter, sauf peut-être par les livres qui garnissent son imposante bibliothèque et au milieu desquels elle paraît étrangement petite.
Trois des quatre hauts murs de son bureau en sont couverts. De toute évidence, l’historienne du genre, ainsi qu’elle se définit, se nourrit d’écritures. Si, dans son enfance passée à Paris, elle en a peu côtoyé, elle a depuis rattrapé le temps perdu en se plongeant dans l’histoire, la psychologie, les fictions américaines, les polars...
Sans doute a-t-elle puisé dans le paradoxe de ses racines la détermination qui a fait d’elle « la première bachelière de la famille ». Sa famille ?« Des laïcards bretons du côté paternel, des ostréiculteurs oléronais du côté maternel », s’amuse-t-elle. Mais « on aimait les images du passé. On était aussi peintres du dimanche.J’ai commencé par dessiner des robes de marquises...» Sous son chignon blanc,Nicole Pellegrin esquisse un sourire entendu. Ce souvenir a son importance, il porte en germe son intérêt futur pour la cause féminine.
Une histoire hommes-femmes
A la Sorbonne, au début des années 70, Nicole Pellegrin décroche l’agrégation d’histoire-géo avant de s’envoler pour quatre ans, avec son mari et ses deux petites filles, vers la Côte d’Ivoire. Dans le cadre de la coopération pour elle, du service militaire pour lui. Sa « fascination pour l’Afrique »l’amène à passer une licence d’ethnologie.
Puis, après quinze ans à l’université de Poitiers, l’historienne du genre, de l’art et africaniste entre au CNRS. « Cela m’a permis d’enseigner à l’étranger. J’ai beaucoup bourlingué, aux Etats-Unis, au Canada, aux Pays-Bas...»Jusqu’à revenir à Poitiers, dans le quartier riche d’histoire de la place de la Liberté. Un hasard congru pour celle qui a beaucoup travaillé sur l’Ancien régime, les révoltes paysannes, les bachelleries... et les femmes évidemment.
« De la réhabilitation des femmes, je suis passée aux liens hommes-femmes. ». Nicole Pellegrin bondit de son fauteuil pour aller cueillir dans ses étagères la biographie d’une Poitevine méconnue, la Marquise de Ferrières. Elle embraie sur la Niortaise Fortunée Briquet qui, en 1804, avait recensé dans un dictionnaire – dont Nicole Pellegrin a signé la réédition- pas moins de 564 auteures.
« Sous l’Ancien Régime, on écrivait auteure et autrice »
« Sous l’Ancien Régime, on écrivait auteure et autrice », glisse l’historienne, partisane de la première heure de l’écriture inclusive. « Mlac(*), planning familial, j’en suis ! ». Nicole Pellegrin veut « sortir de l’histoire victimaire des femmes ». Auteure d’une anthologie intitulée Ecrits féministes, de Christine de Pizan à Simone de Beauvoir, elle se souvient avec nostalgie de la librairie Pergame, engagée, bien connue des Pictaves. « Je ne descends plus dans la rue qu’épisodiquement mais je milite pour la formation permanente, l’idée que l’on peut apprendre à tout âge. Car il faut connaître le passé pour aller de l’avant.»A ce titre l’Université inter-âges de Poitiers est véritablement « l’autre pied sur lequel (elle) valse ».
Fidèle à l’université inter-âges
L’association fête cette année ses 40 ans, compte plus de 1 000 inscrits. Nicole Pellegrin y a adhéré dès 1981 et a rapidement imaginé « transformer un tel vivier de savoirs et de gens passionnants en producteurs de recherches ». Les auditeurs et auditrices ont déjà commis une vingtaine d’ouvrages, qui font la fierté de cette « femme du collectif ».Elle-même a récemment publié Voiles,dernier volume de sa bibliographie personnelle. En historienne mâtinée d’anthropologue, attentive à « la construction des genres par le vêtement », elle y tord le cou aux préjugés selon lesquels le voile serait un accessoire exclusivement féminin. « Il suffit de regarder les Sahari, les moines... ! ».
« S’habiller est un acte social. En France, on oublie parfois que l’on a la liberté du costume. Les vêtements sont un rempart et un étendard, rappelle la co-fondatrice de l’Association française pour l’étude des textiles. Le vêtement est le reflet d’une histoire économique, sociale, politique, commune et individuelle. Il est une parole ; il appartient au langage collectif et il contient les lapsus d’une personnalité. "
Ce jour-là, Nicole Pellegrin est vêtue de noir, un jean et un pull sur lequel elle arbore un foulard de soie coloré. Ses chaussettes aussi sont noires... avec un chat rouge ! « C’est mon lapsus du jour »,murmure-t-elle, espiègle, en haussant les épaules.
(*) Mouvement pour la liberté de l’avortement et de la contraception.
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lundi 23 décembre