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Guillaume Tranchant à la ville, Gringe sur la scène. 39 ans. Né à Poitiers. Acolyte au bonnet du célèbre rappeur Orelsan, avec lequel il a formé le duo à succès Casseurs Flowters. Compte cinq films à son actif et vient de sortir son premier album solo, très introspectif.
Il est de ces artistes qui se révèlent sur le tard. A 39 ans, Guillaume Tranchant alias « Gringe » vient de sortir son premier album solo, Enfant Lune, à l’automne dernier. Il n’est pourtant pas un inconnu de la scène rap, où il traîne son bonnet et son survêt’ depuis maintenant quelques années. Plus particulièrement depuis les Casseurs Flowters, duo gentiment vulgaire et régressif qu’il forme avec le Normand Orelsan, rappeur aux cinq Victoires de la musique. Ensemble, les deux compères ont signé deux disques de platine, une mini-série (Bloqués) et surtout un long-métrage, Comment c’est loin. Un film témoin d’une époque commune, à peine romancée, vécue entre de grands moments de rien et l’écriture de quelques lyrics inspirés. « On raconte une période révolue de nos vies, une candeur, un âge naïf et insouciant. Mais ça, je l’ai toujours en moi. Je vis un peu en décalage, toujours avec un regard d’enfant sur plein de trucs. »
« Une seconde naissance »
Avec Enfant Lune, c’est une autre facette de sa personne qu’il dévoile, plus tourmentée, mélancolique. « Je crois que c’est un endroit de ma vie où j’avais besoin de me raconter, tu vois. Les gens m’avaient découvert avec Casseurs, la caricature du mec en survêt’, le bonnet, dans la déconne et tout… Là, c’était l’occasion de me présenter à ces gens qui me suivent depuis trois, quatre ans, qui m’ont découvert avec Orel’. Leur dire qui je suis derrière le bonnet, derrière le masque. » Au travers des quinze morceaux présents sur la galette, le natif de Poitiers -il n’y a vécu qu’un an- se livre sans filtre, raconte ses déboires amoureuses (Jusqu’où elle m’aime), la relation distante avec son père (Pièces détachées), la schizophrénie de son jeune frère (Scanner)… Le processus d’écriture a parfois été rude. « J’ai réactivé de vieux souvenirs, des épisodes et des états assez douloureux. Mais je pense que pour arriver à une certaine forme d’honnêteté, il faut se replonger dans ces états-là, dans ce travail d’introspection. C’est un mal pour un bien, qui doit t’aider à expier, à panser certaines plaies, tu vois. » Et tant pis si ça déconcerte, dans un milieu où l’on est peu habitué à exposer ses fêlures. « Je me fous de savoir comment ça va impacter, comment les gens vont le recevoir ou juger ça. »
« Je n’ai quasiment jamais travaillé de ma vie »
Cathartique, l’exercice du premier album solo est « une seconde naissance » pour lui. « Enfin, il y a plusieurs petites naissances dans ma vie, de grandes claques existentielles que je prends et qui me font grandir, me permettent de passer des step… Comme tout le monde, je pense. » La rencontre avec Orelsan, il y a près de vingt ans, en est une autre. « Il me file le premier coup de pouce et d’un coup, je sors de ma petite routine de mec qui branle pas grand chose et je me mets à faire des concerts, du cinéma par la force des choses… » Son « pote » de Caen n’est jamais très loin, crédité d’ailleurs sur deux titres d’Enfant Lune. Guillaume n’a jamais eu le sentiment d’évoluer dans son ombre. « Ca ne m’a jamais dérangé parce que le rapport se rééquilibrait avec le cinéma, avec la série Bloqués. On m’identifiait plus, on me disait que j’avais un truc supplémentaire… »
Devant la caméra, Guillaume déploie une aisance certaine. Un naturel presque évident pour lui qui est né d’une mère comédienne et d’un père directeur de scènes de théâtre. « Intuitivement, je pense avoir chopé des trucs. C’est dans mon ADN quoi, et avant même la musique, du moins le rap. » Olivier Marchal le remarque et lui offre un rôle dans Carbone, en 2017. Depuis, on l’a vu dans Les Chatouilles (2018), plus récemment dans Damien veut changer le monde et dans L’Heure de la sortie. Gringe ignorait que ce dernier était l’adaptation d’un roman écrit par un Châtelleraudais (Christophe Dufossé, ndlr). « Un heureux hasard, c’est rigolo, souligne le rappeur, qui allait en vacances chez ses grands-parents, à Bonneuil-Matours. L’écriture du scénario m’a touché. »
Cherche le disque d'or « par orgueuil »
« Bousillé de cinéma depuis gamin » -il cite entre autres Desplechin, Kassovitz, Noé- Gringe prend beaucoup de plaisir à évoluer dans ce métier qu’il découvre. Aux côtés de personnes qu’il admire et observe attentivement, de Benoît Magimel à Laurent Lafitte. « Ces gens-là ont vachement de bouteille. Même pour un petit rôle, j’ai besoin de les voir bosser, d’échanger avec eux. » Sans béatitude ni négligence dans le travail. « Comme dans une relation amoureuse, ça me sort de ma zone de confort. Tu partages, t’es dans la curiosité, l’empathie, le sacrifice, l’ajustement… Dans plein de choses qui te demandent de te sortir un peu de toi, de t’investir. » Pas question, donc, de n’en faire qu’une récréation. « Le cinéma, c’est un environnement dans lequel je me projette à plus long terme pour le coup. Ca survivra. »
Sa tournée terminée -il sera notamment au festival Au Fil du Son, cet été- il enchaînera deux nouveaux tournages en septembre prochain. Il aimerait aussi décrocher le Disque d’or (50 000 ventes, ndlr) avec Enfant Lune -« juste par pur orgueil »- avant de repartir sur un deuxième album dès 2020. Il est loin, le temps de l’attentisme. « Ca tire un peu, mais je ne vais pas me plaindre. Je n’ai quasiment jamais travaillé de ma vie, ça fait seulement quatre piges que j’ai du boulot dans la musique et dans le cinéma, donc je suis quand même ravi de ce qui m’arrive. C’est très cool. Je ne savoure pas encore parce que le rythme est hyper intense mais je sais que j’ai de la chance. » A l’aube de ses 40 ans, Guillaume a trouvé sa voie, presque incrédule. Il n’est jamais trop tard. « J’installe quelque chose, une première pierre. »
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