Les sens d'une vie

Fabienne Deblaise-Vallade. 57 ans. Propriétaire, avec son mari, des brûleries La Cafetière de Châtellerault et Chauvigny. Une vie professionnelle atypique. Cherche le sens en toute chose.

Claire Brugier

Le7.info

Sous ses fines lunettes à demi-cerclées de bleu turquoise, le regard est clair. Scrutateur et doux à la fois. Fabienne Deblaise-Vallade envisage son interlocuteur. Elle cherche un sens à sa présence, le sens en tout. Un vieux réflexe de prof de philo ? Plutôt une façon d’appréhender la vie. 

L’actuelle propriétaire des brûleries La Cafetière de Châtellerault et Chauvigny ne s’est pas longtemps attardée à côté du tableau noir. Deux ou trois ans tout au plus.  « Le contact avec les élèves était sympa, moins avec les profs... » Fabienne Deblaise-Vallade ne mâche pas ses mots. « J’ai senti que pour bien faire de la philo, il ne fallait plus que je sois prof. En philo, on doit apprendre aux élèves à se poser des questions, pas donner des réponses. Et puis la philo, tout le monde s’en fout ! » Elle fait une pause. Dans son sourire se mêle dépit et malice. Elle confesse, un brin provocatrice : «  Je suis quelqu’un de fier. J’avais raté l’agrégation. Or, sans agrégation, on n’enseigne pas ! » 

Puis, de manière impromptue, en conclusion d'on-ne-sait-quelle réflexion silencieuse, elle confie être « fille d'agriculteurs », avec une mère devenue « intellectuelle toute seule », qui « lisait Zola dans Nous-Deux », par extraits. Fabienne Deblaise-Vallade plante le décor. La suite de sa vie se lit à l'aune de ses premières années d'existence, au sein d'une fratrie de cinq enfants. Ainsi, après avoir été brièvement prof de philo, la jeune femme originaire de Chauvigny devient... banquière. Un peu pour ses parents métayers, plus largement pour tous ceux qui n’ont pas les moyens de leurs projets. « Je suis entrée à la banque pour réaliser les projets des autres, leur permettre de réaliser leurs rêves. »

« Je ne connaissais rien au café »

Les années passent, son mari quitte son entreprise dans le bâtiment pour travailler auprès de personnes handicapées à Saint-Julien-l’Ars. Le couple se laisse porter par la vie, emporter... « Je n’ai pas vu mes enfants grandir », déplore l’ex-banquière. Et puis, il y a cinq ans, « nous avons pris la décision de tout quitter. Il fallait le faire ». Restait à « trouver du sens », une fois encore. La décision a pu paraître brutale, elle était mûrie. Inconsciemment, elle avait déjà un parfum de café, celui que Fabienne Deblaise-Lavalle avait humé dans une ferme brésilienne quelques années auparavant, à l’invitation de son jeune frère. Le même à qui elle racontait plus jeune des histoires qu'elle allait chercher dans les romans.

Au gré des petites annonces, la reconversion professionnelle aurait pu prendre la forme d’une épicerie, d’une pizzeria... Ce sera finalement une brûlerie, à Châtellerault, « à la fois dans le plaisir et dans l’artisanat ». Depuis cinq ans, pour la première fois, Fabienne Deblaise-Vallade et son mari travaillent ensemble.« Nous nous sommes passionnés pour le thé et le café. Je ne connaissais rien au café même si j'en buvais beaucoup, et je considérais le thé et les tisanes comme -désolée pour l'expression- de vulgaires pisse-mémé. Mais c'est comme la musique classique : à la première écoute vous ne comprenez pas, puis vous apprenez à l’aimer. » Aujourd'hui "nous torréfions le café, nous faisons des assemblages... Mais dans vingt ans je ne saurai toujours pas faire le café, plaisante-t-elle. C’est à chaque fois un coup de chance. A la tierce de seconde, il peut brûler et devenir amer ou manquer de cuisson et être acide. »Une métaphore de la vie qui lui sied bien. « C'est tout ou rien. Je n'aime pas faire les choses à moitié. » Tant pis pour ceux qui pensent que « quand on change souvent, on est des personnes déséquilibrées »

En 2014, le couple a ouvert une deuxième brûlerie à Chauvigny, « davantage à notre image, quelque chose de simple, dans une ancienne boucherie, un espace ouvert avec un coin tranquille pour déguster et partager ce qu'on aime ».  Partager, même si cela veut dire trois jours de vacances par an. « Je me nourris des gens, de la sève des gens. »Et de la nature, dans les bois ou « à la pêche aux escargots ». La torréfactrice reste toutefois un peu sur sa faim. « Nous ne sommes pas allés jusqu'au bout, qui serait d'arrêter complètement... Nous sommes peut-être devenus un peu « vieux cons », mais la vie vous apprend à mettre les valeurs là où est l'essentiel. »Philosophe, elle « ne regrette aucun passage, même si certains auraient pu être plus rapides ».Finalement elle se ravise : « Et encore, les choses viennent quand elles doivent venir... »

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