Hier
Hélène Gherman. 63 ans. Propriétaire et gérante de la Distillerie de Saint-Pierre-de-Maillé. Naguère productrice de spectacles, entre Paris et New York. S’est mise au vert depuis une quinzaine d’années. Signe particulier : libre.
Elle est aujourd’hui « la plus heureuse des femmes » et ne ferait machine arrière pour rien au monde. Pourtant, au début des années 2000, Hélène Gherman n’aurait jamais imaginé s’installer à la campagne. D’abord parce que cette Parisienne de naissance était une citadine échevelée. Ensuite parce qu’elle souffrait de pollinose. Seulement voilà, « la vie en a décidé autrement ». Son ami et associé Patrick Avril l’a embarquée dans le rachat de la Distillerie de Saint-Pierre-de-Maillé -« c’était sinistre, gris, tout était en ruines »-, découverte quelques mois plus tôt. Les deux producteurs de spectacles voulaient la transformer en un lieu de résidence pour artistes.
Las… Patrick Avril s’en est allé. Son amie a pris le relais. Par fidélité à sa mémoire. Par goût aussi d’une nouvelle vie, au côté de son compagnon Bruno. « Paris, New York, Saint-Pierre-de-Maillé, ça en jette, non ?, s’esclaffe-t-elle. Tout d’un coup, on était des néo-ruraux, sans vraiment avoir réalisé la chose. » Cinq ans de « travaux acharnés » ont transformé la Distillerie en un repaire artistique, écologique et touristique. Son ossature de fer et de pierre lui confère « des allures de cathédrale post-moderne où viennent s'accrocher tous les rêves, tous les possibles, tous les désirs. » Les siens de rêves, la fille de Parisienne et de père d’origine russe -depuis cinq générations- a pris soin de les accomplir.
« Partie au plus loin et au plus dangereux »
Elle qui aurait « profondément voulu être comédienne » s’est offert des cours au conservatoire, mais a aussi et surtout assuré ses arrières en suivant un cursus d’esthétique et une licence d’anglais. C’étaient les années 70, une autre époque. Pendant pas mal de temps, cette femme « farouchement indépendante » a donc mené de front ses deux carrières : dans la cosmétique la journée, sur les planches le soir. Jusqu’à ce qu’un double deuil, « ma grand-mère et mon meilleur ami mort du Sida », ne l’amènent à « prendre un billet pour New York ». Du jour au lendemain. Le cœur lourd et l’horizon incertain. « Je suis partie au plus loin et au plus dangereux. Etre étranger quelque part, c’est extraordinaire. » Les (heureux) hasards de l’existence l’ont conduite jusqu’à l’Herbert Berghof (HB) Studio. Son « reset » s’est transformé en risette. Son cœur s’est allégé d’un poids insondable. Et ses rêves de comédie musicale ont éclos. Le public a accroché et le spectacle haut en couleurs s’est offert une vie de « grosso modo dix ans ».
Hélène n’en a assuré que la moitié, elle est revenue en France au moment où le mur de Berlin vivait ses dernières heures. Une parenthèse de quelques années dans l’Hexagone, pendant laquelle elle co-créera les Piaf, à la Cigale, pour « mettre en lumière des spectacles émergents. » Nouveau départ pour Big Apple avec, cette fois, des envies de création d’entreprise. Grâce à European convention limited, la Frenchie a permis à des tas d’humoristes (Michel Leeb…), de chanteurs (Manu Chao, Julien Clerc…) et DJ (Fred Galliano, Laurent Garnier…) de se produire aux Etats-Unis. « Je me souviens par exemple du concert de Rachid Taha le jour de la finale de la Coupe du monde 98. Il y avait 10 000 personnes et une liesse pas possible autour de la victoire des Français. » Malheureux hasard du calendrier, Taha est lui aussi parti rejoindre les étoiles il y a quelques semaines. Hélène Gherman n’en savait rien. Elle n’a pas de télé et laisse le portable, qu’elle a rebaptisé « posable », loin d’elle autant que possible. La néo-rurale a pris le pas sur la citadine, quoi qu’elle consente tout de même à raconter ses dernières heures new-yorkaises, fin août… 2001. « Avec Bruno, nous nous sommes allongés sur le pont de Brooklyn pour ressentir les vibrations. Et nous avons fait la même chose au pied des Twin Towers. Avec la perspective, elles se rejoignaient. » Trois semaines plus tard, la productrice a « halluciné » devant sa télé, dont elle ne s’était pas encore débarrassée.
De Paris à Saint-Pierre-de-Maillé, en passant par New York, une certitude l’a toujours escortée : ne jamais oublier d’être libre et de cultiver son bonheur. « Quand je suis arrivée la première fois à New York, j’ai pris le Circle Line. Ce jour-là, il faisait moche. Dans ma tête, j’ai aperçu les doigts de Dieu. Le nuage s’est déchiré et le soleil est descendu. J’ai eu la conscience intime que nous étions nés pour être heureux. »
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