« La Maison » de l’incertitude

Depuis plusieurs semaines, de jeunes migrants sont barricadés au 22, voie André-Malraux, à Poitiers. Ils contestent la décision du juge des enfants qui les déclare majeurs, donc non éligibles aux services de l’Aide sociale à l’enfance.

Romain Mudrak

Le7.info


La vie s’organise autour de « La Maison ». Une petite vingtaine de jeunes migrants sont actuellement reclus à l’intérieur de cet immeuble. Installés illégalement depuis juin pour certains, ils ont barricadé murs et fenêtres depuis l’avis d’expulsion prononcé le 14 septembre par le tribunal d’instance de Poitiers. Chaque mercredi, des Poitevins déposent des biens de première nécessité à des bénévoles du collectif instal- lés juste devant le bâtiment. Jacques, la soixantaine, est venu de Vouneuil-sous-Biard pour apporter de la lessive et du lait : « J’ai entendu parler de la situation sur les réseaux sociaux. Je soutiens à ma façon parce que je trouve scandaleux qu’on ne trouve pas de solution pérenne pour ces jeunes migrants. »

Au balcon du premier étage, Jacques-Nathan remonte le sac en tirant sur une corde grâce à un système de poulie. Originaire du Cameroun, il conteste la décision du juge des enfants qui l’a déclaré majeur. Son recours est en suspens depuis plusieurs semaines, ce qui le classe dans la catégorie des « mijeurs », comme on dit ici, ni complètement majeur, ni vraiment mineur. Mais à coup sûr non pris en charge par les services de l’Aide sociale à l’enfance (ASE) du Département. C’est le cas de près de 70% des migrants qui se soumettent à l’évaluation de leur âge. A l’instar de ses colocataires du moment, venus surtout de Guinée Conakry et du Congo, il assure aller « bien physiquement mais pas dans la tête ». Il ajoute : « On va finir dans la rue si on est expulsés. On est venus en paix, mais les dossiers n’avancent pas. » Majeurs ou mineurs, difficile d’établir une vérité fiable à cent pour cent. « Ils me présentent des papiers, ils me disent qu’ils ont moins de 18 ans », témoigne Jérémie, membre du collectif « La Maison ». Lui met en avant « les réactions d’enfants » qu’il perçoit parfois dans les situations du quotidien. De quoi l’inciter à les croire. En fait, quel que soit leur âge, c’est plutôt l’idée qu’on laisse des êtres humains ayant fui leur pays dormir dans la rue qui mobilise les gens autour de ces migrants.

Des places au Crous, en octobre
Ces soutiens, ils étaient plus d’une centaine la semaine dernière, à l’entrée du conseil municipal, pour appeler les élus à intervenir. « Indirectement, nous sommes en première ligne, analyse Alain Claeys, maire de Poitiers. Ce squat est dans une maison qui appartient à l’Etat, il en est donc de sa responsabilité. Et la prise en charge des mineurs isolés est de la compétence du Département. » Face à ce constat d’impuissance, la municipalité assure déjà répondre, autant qu’elle le peut, «à un sujet qui est là pour de nombreuses années ». Sur 673 logements d’urgence à destination des migrants dans la Vienne, on en dénombre 515 rien que sur Grand Poitiers. L’édile a annoncé la mise en disponibilité, dès octobre, de places d’accueil au centre d’urgence social, qui est temporairement installé au Crous. « Mais au cas par cas, selon la situation juridique de chacun », précise Jérémie, qui attendait mieux. Reste que le flux d’arrivées ne diminue pas. 280 mineurs non accompagnés se sont présentés à l’ASE depuis janvier, contre 270 sur la même période de 2017. Depuis la visite de l’huissier il y a deux semaines, les représentants du squat jugent l’expulsion « imminente ». En dépit de cette épée de Damoclès qui pèse sur « La Maison », la vie continue. Loin des regards et à l’abri de la rue.

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