La difficile sortie de l’engrenage

Vingt-trois personnes comparaissent devant le tribunal correctionnel de Rennes pour leur implication dans un vaste réseau de prostitution nigérian, de 2013 à 2016, à Poitiers. Pour les victimes, c’est une étape importante dans leur reconstruction, loin de la prostitution.

Steve Henot

Le7.info

Pourtant partie civile au dossier, elle n’a pas souhaité être présente à l’audience. Ç’aurait été une épreuve trop rude pour elle, une de plus. « Ce serait dangereux pour moi d’y être. J’ai peur d’eux », dit Johanna (*) à propos de celles et ceux qui l’ont forcée à se prostituer, plusieurs mois durant, dans les rues de Poitiers. Leur procès se déroule actuellement au tribunal correctionnel de Rennes, où ils sont jugés -23 prévenus au total- pour des faits de proxénétisme aggravé, traite humaine et association de malfaiteurs, commis entre 2013 et 2016 à Poitiers.

Plutôt qu’à la barre face à ses anciens « boss » comme elle les appelle toujours, Johanna a préféré s’exprimer dans la presse. « Pour que les gens comprennent mon histoire, mes sentiments », confie-t-elle.

Une emprise morale

Comme elle, des dizaines de Nigérianes sont tombées dans la prostitution à leur arrivée à Poitiers. Le parcours est souvent le même, comme le révèle l’instruction. Attirées par la perspective d’une vie meilleure, ces jeunes femmes s’endettent pour se rendre en Europe -entre 20 000 et 60 000€- et sont contraintes, sur place, à se prostituer pour rembourser leurs proxénètes. Leurs documents d’identité sont confisqués, falsifiés ; leur famille et leur intégrité, menacées par le « gugu », un rite vaudou… « Pour garantir le paiement de la dette, les proxénètes ont sur elle une véritable emprise morale », décrivait ainsi Didier Peltier, le président du tribunal correctionnel de Rennes, lors du premier jour d’audience.

Aujourd’hui encore, elles seraient près de soixante à arpenter les trottoirs de Poitiers. « Cela a été très, très dur d’arrêter, vraiment, assure Johanna. C’est mon petit ami qui m’a convaincue et qui m’a amenée à rencontrer une association. » Cette association, c’est Les amies des femmes de la Libération (LAFL), laquelle fournit une aide à l’hébergement aux jeunes femmes sortant de la prostitution. Un soutien bénévole qui s’ajoute au « parcours de sortie » mis en place par la loi du 13 avril 2016 : allocation, accès à la formation professionnelle, cours de français, suivi médical et psychologique, titre de séjour provisoire… Dans la Vienne, tout est pris en charge par le Centre d’information sur les droits des femmes et des familles (CIDFF), agréé par l’Etat. Quatre parcours sont engagés dans le département -précurseur en la matière- sur les soixante-quatre en cours dans toute la France. Mais c’est encore insuffisant…

« Un espoir pour ces femmes »

Par ailleurs, une enquête menée ces deux dernières années par Médecins du monde a récemment mis en lumière les effets pervers de cette loi pour les femmes qui revendiquent leur statut de travailleuses du sexe. Pour 63% d’entre elles, la pénalisation des clients aurait ainsi contribué à détériorer de manière significative leurs conditions de travail. « C’est le volet répressif qui a le plus concerné les travailleuses du sexe en accentuant les situations de précarité, de violences, de stigmatisation et en les exposant à des risques pour la santé », dresse notamment cette étude nationale.

« Je n’ai pas forcément entendu ça à Poitiers », note toutefois Emma Crews, la présidente de LAFL. Pour elle, ces conclusions témoigneraient avant tout d’un changement de perception, preuve que les mentalités ont évolué. « Ces femmes ont davantage conscience d’avoir été des victimes que des criminelles. Elles se disent aujourd’hui : « J’ai été forcée de me prostituer, ce n’est pas un vrai choix ». » Et Emma Crews d’insister sur l’importance, malgré tout, que revêt ce « parcours de sortie » : « Avant, il n’y avait rien, aucune option pour s’en sortir. Ce n’est peut-être pas parfait et cela va encore prendre du temps, mais c’est déjà un espoir pour ces femmes. »

(*) Le prénom a été modifié à la demande de la personne.

À lire aussi ...